Pat Califia désigne deux personnes : Patricia, née aux Etats-Unis dans un milieu mormon, devenue lesbienne à 13 ans et sadique à 17 ans ; Patrick, ayant entamé sa transition (changement de sexe) en 1999. Cet essai, paru dans la collection l’Attrape-Corps des éditions La Musardine, rassemble douze articles rédigés entre 1979 et 1999 par celle qui devait s’imposer comme une figure du féminisme ainsi que du mouvement lesbien, gay, bi et transgenre. Mais une figure atypique : l’orientation SM de Pat Califia lui valut immédiatement des rejets de la part de la communauté lesbienne (le SM n’étant pas assez exclusif, trop mâle, pratiqué à l’occasion avec des hommes gays ou hétéros) aussi bien que du mouvement féministe (le SM étant assimilé à la réification fétichiste et à la domination masculine, à la misogynie et à la violence). Opposition paradoxale qui valut à l’auteur ce constat amer et précoce : les mouvements d’émancipation des femmes ou des minorités, dirigés contre un ordre hétérosexuel, monogame et patriarcal dominant, tendent à créer en interne des contraintes normatives et des régulations comportementales parfois aussi étouffantes.
Mais il en aurait fallu bien plus pour faire taire Pat Califia. Au fil de ces textes subversifs, elle décrit les pratiques qu’elle a choisies et les réflexions que ces pratiques nourrissent sur le mouvement LGBT et le féminisme. L’essai peut donc se lire comme une confession, une observation ou une réflexion, dont l’objet ne varie guère : le rapport que l’individu entretient avec ses choix sexuels, la réception de ces choix dans les minorités et dans la société en général. Il faut préciser que Pat Califia est douée d’un style remarquable, une rythmique percutante alliant sans la moindre difficulté dans un même texte des considérations tout à fait personnelles et pragmatiques à des propos bien plus généraux et théoriques. Les pages les plus saisissantes de l’ouvrage concernent certainement la description vécue de la pratique SM, vue du point de vue sadique (top ou dominant par opposition à bottom ou soumis) — mais un point de vue non exclusif, car Pat Califia est avant tout fascinée par la fluidité des rôles et des genres, par la capacité des individus à repenser leur corps et ses situations depuis les principes de désir et de plaisir, en parfaite indifférence à la morale et au quand dira-t-on. A tous ceux qui considèrent les pratiques minoritaires comme l’expression nécessaire d’un mal-être existentiel ou d’un dérèglement psychique, Pat Califia apporte la plus simple des réponses : un témoignage débordant de vitalité, de joie, d’intelligence, un gai savoir et une grande santé dont le simple contact rend la libération sexuelle un peu moins utopique.
Référence :
Califia P. (2008), Sexe et utopie, Paris, La Musardine, 196 p.
Illustration : collage de Philippe Tissier, galerie Blockhaus.
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