Depuis leur création au début du XXe siècle, la plupart des tests de QI sont standardisés. Ils sont aussi régulièrement actualisés, pour que leur mesure corresponde bien à une moyenne dans la population, conventionnellement fixée à 100. En 1987, James Flynn, professeur à l’Université d’Otago (Nouvelle-Zélande), a eu l’idée d’observer l’évolution du QI à travers les générations. Il eut la surprise de constater que celui-ci progressait régulièrement depuis cinquante ans, de l’ordre de 3 points par décennies (pour le QI évalué par l’échelle de Weschler), parfois plus (jusqu’à 7 points par décennies dans certains pays pour le QI évalué par les matrices de Raven). Une population d’enfants au QI de 100 qui passerait aujourd’hui un test des années 1960 obtiendrait en moyenne 115. Cette progression régulière du QI, observée dans la vingtaine de pays industrialisés où elle a été testée, est désormais appelée « effet Flynn », du nom de son découvreur.
Une abondante littérature a tenté d’expliquer cet effet Flynn. En général, les causes génétiques ont été mises de côté puisqu’il n’y a pas de raison de penser que nos gènes aient connu une évolution notable en l’espace de trois ou quatre générations. On a donc évoqué diverses causes environnementales, parmi lesquelles la nutrition de la mère et de l’enfant (quantité plus importante de viandes, de graisses, de sucres, etc. favorisant le développement du système nerveux), la généralisation des vaccins et des antibiotiques (certaines maladies infantiles peuvent altérer le développement du cerveau), le progrès de l’alphabétisation et de l’éducation, la stimulation intellectuelle liée à la complexification des modes de vie, la banalisation des tests psychométriques et la meilleure anticipation des réponses, la libéralisation de l’avortement (éliminant certains handicaps mentaux et plus souvent pratiqué chez les individus à QI en dessous de la moyenne de leur population), la réduction de la fécondité finale et l’investissement parental (plus de soins et de stimulations apportés à moins d’enfants par famille).
Deux papiers viennent de se pencher sur cet effet Flynn, l’un pour constater sa limite, l’autre pour en proposer une explication originale.
Dans le premier article, Elbert W. Russell apporte une mauvaise nouvelle : l’effet Flynn pourrait bien ne plus être une réalité, c’est-à-dire que le QI moyen des populations de pays industriels ne montre plus de gains significatifs. Un tel résultat serait une illustration de l’effet plateau, assez connu en biologie : quand un trait dépend en partie de l’environnement, ce dernier atteint souvent une configuration optimale au-delà de laquelle le trait ne montre plus de variations significatives. Par exemple, il est connu que les enfants d’immigrants japonais aux États-Unis sont plus grands que leurs parents, mais le gain relatif de taille diminue génération après génération, et finit par se confondre avec l’évolution de la population générale. Russell note que deux études récentes au Danemark (Teasdale et Owen 2005) et en Norvège (Sundet et al. 2004) ont documenté un plateau cognitif, c’est-à-dire une stagnation du QI moyen des nouvelles générations par rapport aux anciennes. Il suggère que les pays nordiques ayant mis assez tôt un système redistributif égalitaire sont aussi les plus susceptibles de voir diminuer rapidement l’effet Flynn. Une autre étude n’a pas retrouvé de gain de QI dans la population australienne (Cocolia et al. 2005). Dans sa propre analyse portant sur les États-Unis et le test de Weschler, Russell suggère que les Nord-Américains ont eux aussi atteint leur plateau cognitif, les gains récents étant mineurs et résultant probablement des changements de normalisation entre le WAIS-R e le WAIS-III (deux versions successives des échelles de Weschler).
Le second papier, de Michael A. Mingroni, envisage l’effet Flynn sous un angle plus intéressant. Beaucoup de chercheurs, dont James Flynn lui-même, ont insisté sur un paradoxe apparent : l’intelligence (telle que mesurée par les tests de QI) est un trait à forte héritabilité, de l’ordre de 0,8 chez l’adulte (80% des différences d’intelligence dues aux gènes) ; cette héritabilité ne semble pas avoir été modifiée au fil des générations ; elle est suffisamment élevée pour rendre problématiques les gains de QI observés si ceux-ci ne proviennent que de l’environnement (selon Flynn, il faudrait pour cela une héritabilité plus proche de 0,6, mais ce n’est pas la conclusion des études de génétique du comportement).
Comment faire tenir ensemble ces différentes observations ? Mingroni souligne tout d’abord que l’intelligence n’est pas isolée : des traits également connus comme ayant une héritabilité plus ou moins importante ont évolué au cours des dernières décennies (la taille générale, le volume du cerveau, l’autisme, la myopie, l’asthme et l’allergie, l’hyperactivité avec déficit d’attention, etc.). Il propose ensuite que l’effet Flynn n’est pas dû uniquement à l’environnement, là où tout le monde le cherche : par exemple, on n’observe pas de tendance significative entre les aînés et les cadets des familles, même quand les naissances sont séparées par une décennie ou deux (ce qui devrait produire en moyenne 3 à 6 points de gain de QI). Pour expliquer l’effet Flynn, Mingroni fait appel à un mécanisme appelé hétérosis ou vigueur des hybrides, bien connu chez les éleveurs et cultivateurs : si un trait a une base génétique, si les gènes (ou la majorité des gènes) de ce trait sont dominants, plus la population connaîtra un large brassage génétique (panmixie reproductive), plus on trouvera d’individus hétérozygotes pour ces gènes et plus le trait sera finalement exprimé. Son hypothèse, dont il fixe cinq prédictions à tester de manière quantitative, est donc que le gain d’intelligence au fil des générations serait surtout dû à une baisse de l’endogamie (reproduction au sein de classes cognitives avantagées ou désavantagés, les premières montrant un excès en homozygotes, les secondes un déficit en hétérozygotes), consécutive à des phénomènes comme la plus grande mobilité des individus, l’urbanisation et le déclin des isolats paysans, etc. Il suffit que la mixité sociale (donc reproductive) se trouve un plus prononcée en 1990 qu’en 1960, en 1960 qu’en 1930, etc. L’hypothèse de Mingroni n’est pas incompatible avec l’effet plateau documenté par Russell : plus les gènes d’un trait donné sont brassés dans une population, moins la variation de trait en question sera notable.
On verra à l’avenir si l’observation d’une stagnation du QI se confirme et si l’hypothèse de l’hétérosis est validée. Dans ce cas, il sera difficile d’obtenir des gains cognitifs supplémentaires, sauf si l’on venait à intervenir directement sur les gènes associés à l’intelligence chez les individus et les populations.
Références :
Mingroni M.A. (2007), Resolving the IQ paradox : Heretosis as a cause of the Flynn Effect and other trends, Psychological Review, 114,3, 806-829.
Russell A.W. (2007), The Flynn Effect revisited, Appl. Neuropsychology, 14, 262-266.
(Merci aux auteurs de nous avoir communiqué leurs articles).
21.4.08
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire