Depuis quelques décennies, la génétique du comportement répond à sa manière à la vieille question : comment devient-on ce que l’on est ? Elle ne prétend évidemment pas y apporter une réponse exhaustive ni définitive, encore moins une réponse individuelle fondée sur l’analyse au cas par cas, plutôt fournir un cadre général de compréhension appuyé sur des estimations quantitatives (travaux sur les populations). La génétique du comportement distingue trois grandeurs dans son objet d’étude : h^2, c^2 et e^2 (1). La première désigne l’héritabilité (part des gènes dans la variance interindividuelle), la seconde l’environnement partagé (part de la famille), la troisième le reste (environnement non partagé et biais).
Ces trois valeurs prennent tout leur sens dans les études de fratries, où l’on peut distinguer c^2 et e^2 : on observe des frères et des sœurs, parfois vrais et/ou faux jumeaux, parfois demi-frères et demi-sœurs (un membre de la fratrie adopté), à différents âges de leur vie. Et l’on essaie ainsi de comprendre à diverses étapes de l’existence l’influence relative des gènes, de l’environnement partagé (la famille et ses événements, comme les séparations et divorces, les habitudes de vie et leurs évolutions, la nutrition, le milieu immédiat du domicile), de l’environnement non partagé (ce que chaque enfant fait ou subit en propre par rapport à ses frères ou soeurs). Ces études portent sur les traits de personnalité, les aptitudes cognitives, parfois les troubles de l’esprit : tout cela est observé et quantifié par des examens, des tests ou des questionnaires. Les recherches en génétique du comportement concernent généralement de grands nombres, ce qui est indispensable à une démarche scientifique (quantitative et reproductible) et ce qui permet de minimiser les biais dus à des cohortes de trop petites dimensions. A titre d’exemple, les deux traits de personnalité appelés neuroticisme et extraversion ont été analysés sur 4766 paires de jumeaux en Finlande, 12 988 en Suèdes, 2793 en Australie, 20 754 aux Etats-Unis. L’intelligence (facteur g), trait le plus étudié et de loin, a mobilisé des quantités bien plus importantes et depuis plus longtemps. Même si le cadre est le plus souvent celui de populations occidentales, on voit que le nombre de sujets impliqués donne une certaine consistance aux travaux – qui, rappelons-le encore car le point est important et incompris, ne vise pas à dire comment l’individu X ou Y est arrivé à telle ou telle disposition psychologique à l’âge de 20 ans, mais à déterminer pour quelles raisons les individus X, Y et tous les autres en situations comparables diffèrent sur l’expression de cette disposition psychologique.
John Loehlin, une figure déjà historique de la génétique du comportement travaillant au département de psychologie de l’Université du Texas, revient dans ce court papier de synthèse sur une découverte frappante, établie dès les années 1970, confirmée depuis et que l’on peut résumer d’une simple formule : c^2 = 0. Cela signifie que pour un grand nombre de traits de cognition ou de comportement étudiés chez l’adulte, l’influence partagée de l’environnement familial est à peu près nulle. Les frères et les sœurs devenus adultes se comportent de telle manière que l’on ne peut pas vraiment distinguer une influence de leur famille, les traits caractérisant leurs différences provenant soit de leurs gènes, soit de leur environnement non partagé (c’est-à-dire de ce que les frères et les sœurs développent en propre à mesure qu’ils grandissent, plutôt que ce qu’ils subissent en commun, cet environnement non partagé étant souvent le fruit d’une interaction gène-environnement).
Comme le souligne Loehlin, ce n’est pas vrai pour tous les traits (des travaux ont montré que la disposition à l’autonomie, par exemple, possède une composante familiale assez forte même à la fin de l’adolescence, de l’ordre de 0,48 pour c^2). Mais surtout, cela ne signifie pas que les familles n’ont aucune importance : elles sont bien sûr indispensables à un développement de l’enfant, et la valeur de c^2 est d’ailleurs plus élevée aux jeunes âges. Quand on examine des enfants de 5 ans, leur environnement familial pèse lourd dans les différences. Mais ce sera de moins en moins vrai au cours du développement, à 10 ans, 15 ans et 20 ans. Si les familles sont importantes, elles ne semblent donc pas pour autant déterminantes dans la construction des différences entre individus. Ces dernières proviennent plutôt des gènes et différents rapports gènes-environnements (interaction de nature passive, active ou réactive, selon que les gènes se confondent avec l’environnement – des parents névrosés produisent un cadre de vie névrosé et transmettent en même temps les gènes de leur névrose -, réagissent à l’environnement – un enfant prédisposé à la timidité et moqué par ses camarades se rétracte sur sa timidité -, ou produisent l’environnenment – un enfant prédisposé à l’intelligence et à l’introversion ira plus facilement dans une bibliothèque que sur le terrain de sport, dans sa chambre pour travailler que dans la rue pour jouer, etc.). Dans la dernière partie de son papier, Loehlin propose neuf pistes de travail pour améliorer la précision des études de génétique du comportement sur ces différents points.
La conclusion provisoire que l’on peut en tirer de ces 30 ans d’analyse scientifique du comportement humain va à l’encontre de l’idée reçue (et encore souvent transmise) selon laquelle nous sommes essentiellement les produits des influences parentales : quand on regarde les différences psychologiques entre adultes, dans les populations occidentales, l’héritage génétique est important, les expériences personnelles aussi, mais le passé familial ne l’est guère. Et les travaux disponibles sur d’autres civilisations, asiatiques notamment, ne vont pas à l’encontre de cette observation pour le moment. A côté de cela, l’odeur d’une madeleine peut éveiller un immense flot de souvenirs lointains. Mais quand on ne prétend pas faire de la littérature et plutôt réfléchir sur les traits communs des humains, un regard sur les sciences permet de se détacher de certaines croyances et de se forger une image un peu moins fausse, à défaut d’être absolument vraie, des destinées de l’Homo sapiens.
(1) Cette plateforme ne permet pas de mettre les exposants des puissances, il faut bien sûr lire h,c et e au carré.
Référence :
Loehlin J. C. (2007), The strange case of c2 = 0: What does it imply for theories of behavioral development?, Res. Hum. Devel., 4, 151-162. (Merci à l’auteur de nous avoir transmis son papier).
Illustration : The Dining Room (2007), Richard Jackson (galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois)
17.4.08
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire