27.4.08

Quand l'humain frôlait l'extinction... et accélérait son évolution

Le Genographic Consortium étudie l’évolution de la diversité humaine en réalisant des phylogénies moléculaires à partir des populations actuelles. L’étude de l’ADN mitochondrial (transmis par les mères), du chromosome Y (transmis par les pères) ou de l’ADN nucléaire des individus provenant de différentes ethnies permet en effet d’analyser les phases de différenciations (apparition de mutations non partagées d’une ethnie à l’autre) et de les dater par horloge moléculaire (selon le rythme de mutation de l’ADN lorsque la mutation est neutre, c’est-à-dire sans pression sélective particulière).

On s’intéresse beaucoup aux migrations humaines hors d’Afrique, qui ont commencé voici 60.000 à 70.000 ans et qui ont abouti aux peuplements successifs de l’Eurasie, de l’Australasie et de l’Amérique. Mais les chercheurs se sont penchés cette fois sur la période précédente, la phase africaine de l’Homo sapiens, qui aurait débuté vers 200.000 ans. Ils se sont particulièrement penchés sur les ethnies Khoi et San – à la fois parce que leur mode de vie de chasseurs-cueilleurs est resté très proche de celui de nos ancêtres, et aussi parce que l’analyse des lignages maternels et paternels montre qu’il s’agit des plus anciens clades de l’humanité (les premières populations à s’être différenciées au sein de l’espèce). Dans ce travail, ils ont analysé l’ADN mitochondrial de 624 individus d’origine sub-saharienne. Cet ADN situé dans les mitochondries, organites des cellules servant à leur métabolisme énergétique, diffère de celui du noyau où se situe notre génome et n’est transmis que par les mères, sans contribution masculine.

Il en ressort plusieurs points intéressants. L’ensemble kkoisan aurait divergé entre 150.000 et 90.000 BP (before present), mais au moins cinq autres lignages maternels seraient apparus dans cette même période. Et 40 autres pour la seule Afrique sub-saharienne, avant la phase de dispersion, vers 70.000-60.000 BP. Ces tribus ou ethnies africaines se seraient réparties sur le continent, surtout au Sud et au Nord-Est si l’on en juge par les vestiges disponibles. Le second point, plus intéressant encore, c’est que l’humanité aurait alors connu une population globale très faible, de l’ordre de 2000 individus, ce qui la place à la limite de l’extinction. Le faible nombre d’humains a pu avoir pour causes des épidémies ou des changements climatiques (glaciation-déglaciation, éruptions volcaniques massives). Cela signifie que dans la phase cruciale de l’hominisation récente, entre 200.000 et 70.000 BP, nos ancêtres auraient vécu en groupes plutôt isolés, de très petites dimensions (quelques centaines d’individus), groupes qui ont ensuite connu une lente extension démographique et ont migré hors d’Afrique (ou se sont à nouveau mélangés pour ceux restés en Afrique).

Ce travail, s’il est confirmé par d’autres équipes, précise donc l’environnement adaptatif où certaines caractéristiques de notre espèce comme le langage, l’art et la culture ont connu une forte pression sélective. La division en petits groupes pourrait avoir contribué à cette évolution - à la fois parce que les conflits intergoupes favorisent les comportements altruistes et prosociaux à l’intérieur de chaque groupe (mais aussi des comportements agressifs et prédateurs vers l’extérieur) et parce que selon le mécanisme de « l’effet fondateur », des mutations favorables se répandent plus facilement dans des populations de petites dimensions en situation de goulot d’étranglement démographique (plus tard, elles se diffusent par des brassages reproductifs).

Référence :
Behar D.M. et al. (2008), The dawn of human matrilineal diversity, American Journal of Human Genetics, online pub., doi:10.1016/j.ajhg.2008.04.002

Illustration : le crâne de Herto, Homo sapiens vivant voici 160.000 ans sur le territoire de l’Ethiopie actuelle, in White TD. Et al. (2003), Pleistocene Homo sapiens from Middle Awash, Ethiopia, Nature 423, 742-747, doi:10.1038/nature01669.

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