Voici un enième petit livre se penchant sur le « malaise français », mais de manière amusante. Les auteurs rassemblent en effet toutes sortes de données statistiques, notamment celles issues des grandes enquêtes internationales sur les comportements, attitudes et convictions prévalant au sein des différentes nations (World Values Survey, General Social Survey). Il en ressort que parmi la trentaine de pays étudiés, la France figure toujours en très mauvaise place (dans les cinq dernières) lorsqu’il est question de confiance. Ainsi, par rapport aux autres pays analysés, les Français ne se font pas tellement confiance entre eux, n’ont pas confiance dans leurs partis, leurs syndicats, leur justice ou leur Parlement, trouvent plutôt normal de recevoir des aides publiques même si elles ne sont pas dues, sont moins choqués que d’autres par la pratique de la corruption, ont des diplomates plutôt indifférents aux règles de stationnement autour leurs ambassades, ont des entreprises perçues par leurs partenaires étrangers comme fonctionnant assez facilement au pot-de-vin, etc. Tout cela est parfaitement chiffré, remarquablement convergent, incontestablement affligeant (enfin, ce dernier constat est un jugement de valeur, il y aura toujours des chauvins de droite ou de gauche pour se dire que nous les Français sommes décidément des gens exceptionnels et que le monde entier nous envie depuis Bouvard et Pécuchet). On trouve aussi des études plus cocasses, dont une consistant à perdre volontairement 20 portefeuilles dans différentes capitales, avec dans le portefeuille toutes les données nécessaires sur le propriétaire ou le service des objets trouvés. Vous constaterez qu’il vaut mieux prendre soin de ses affaires à Paris…
Les auteurs suggèrent que cette « société de défiance » provient du poids de l’Etat-providence depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais surtout de la convergence de l’étatisme et du corporatisme : au lieu de faire un Etat-providence égalitaire sur le modèle scandinave, les Français ont multiplié des régimes spéciaux, des passe-droits sociaux, des avantages fiscaux, bref un système lourd et incompréhensible, flattant la division, favorisant la magouille et décourageant le dialogue. On peut néanmoins penser que ce n’est pas la seule raison. Il est frappant de constater que les pays nordiques, germaniques et anglo-saxons arrivent régulièrement en tête en terme de confiance, quel que soit leur régime d’Etat-providence, et aussi que les petits pays s’en sortent bien mieux que les grands. Quant à la place centrale de l’Etat dans la construction de la société française, on sait depuis Tocqueville qu’elle date de la monarchie et qu’elle a franchi les siècles comme les régimes sans trop de difficulté. Un certain candidat avait promis la « rupture » de ce système, mais personne n’y croit évidemment, pas même ceux qui font encore semblant de penser qu’il est « ultralibéral »…
Référence :
Algan Y., P. Cahuc (2008), La société de défiance. Comment le modèle social français s’autodétruit, Paris, Rue d’Ulm.
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