2.6.08

Qui a peur des mères porteuses ?

La révision des lois de bio-éthique en 2009 va être l’occasion des habituels conflits idéologiques et religieux autour des questions relatives à la biomédecine et à la procréation. Parmi celles-ci, la légalisation des mères porteuses (gestation pour autrui) sera examinée par les parlementaires. Le principe est simple : un couple dont la femme est stérile demande à un tiers de porter leur enfant, moyennant rémunération. Cet enfant est issu d’une fécondation in vitro des gamètes du couple quand cela est possible, ou des gamètes du père et la mère porteuse dans le cas inverse.

Dans Valeurs actuelles, Pierre-Olivier Arduin (directeur de la commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon) sonne la charge contre l’hypothétique adoption cette réforme. Notre homme est engagé dans une réflexion religieuse, mais il ne fait appel à aucun concept religieux pour justifier l’interdit qu’il défend. Le texte est assez confus dans sa construction, en voici les principaux arguments.

Argument 1 : « La gestation pour autrui bricole la filiation en faisant naître en toute connaissance de cause un orphelin de la mère qui l’aura porté. Elle tient pour rien la relation materno-foetale au moment où son apport à l’épanouissement de l’enfant est de plus en plus avéré. Disposition multiséculaire inscrite dans le marbre de la loi: la mère est celle qui a donné la vie. »

Contre-argument : le propos d’Arduin oscille entre justification bio-psychologique (les conséquences de la relation materno-fœtale) et argument d’autorité traditionnel (la disposition multiséculaire). Rien de concret n’est avancé sur le rapport nécessaire selon lui entre grossesse et épanouissement de l’enfant. Et pour cause : une mère biologique qui boit et se drogue pendant sa grossesse va nuire à l’épanouissement futur de son enfant, quand bien même elle le porte selon la tradition multiséculaire. Inversement, le bien-être de l’enfant ne dépend pas de l’identité entre mère biologique et mère légale, faute de quoi les enfants adoptés ne pourraient connaître un réel épanouissement (et l’adoption serait alors interdite). L'auteur utilise donc des concepts flous (épanouissement) et des rapports de causalité (grossesse > épanouissement) non démontrés. Le bien-être hypothétique de l'enfant est utilisé comme argument rhétorique pour faire oublier le mal-être (bien réel) des couples qui ne peuvent avoir d'enfants et désirent recourir à une mère porteuse plutôt qu'à une autre solution. Choix dont ils sont évidemment libres : n'en déplaise à l'Eglise habituée à régenter la vie de ses fidèles, le rôle de l'Etat n'est pas de dicter aux individus et aux familles la manière dont ils doivent procréer.

Argument 2 : « Ce modèle, outre qu’il détruit irrémédiablement la réalité objective de la maternité, heurte de plein fouet le principe intangible d’indisponibilité du corps humain. La mère porteuse met à disposition des requérants ses fonctions reproductrices, entraînant une confusion entre procréation, reproduction et simple production d’une marchandise, l’enfant, au moyen d’un instrument de travail, son utérus. Le tout contre rémunération. »

Contre-argument : le principe d’indisponibilité du corps humain n’a rien d’intangible, puisque le droit romain à l’origine de nos concepts juridiques reconnaissait que l’esclave peut être vendu. Ou que le droit américain accepte la gestation pour autrui, ce qui signifie que ces questions n’ont aucune réponse éternelle ni universelle. (La gestation pour autrui est autorisée en Afrique du Sud, Australie, Brésil, Canada, Grèce, Israël, Russie, et elle ne fait l'objet d'aucune législation en Belgique, au Danemark et aux Pays-Bas). On peut espérer que les mères porteuses seront l’occasion de montrer les contradictions de notre droit et de mener une réflexion de fond sur le corps humain comme chose (ce qu’il est) dont l’individu est propriétaire. Ainsi, la prostitution et le don d’organe montrent déjà que le corps humain n’est pas indisponible (on peut en faire commerce dans le cas des prostituées, en faire cadeau dans le cas du don d’organes). Sinon, la « réalité objective de la maternité » dont parle Arduin inclut désormais les différentes formes de procréation médicalement assistée. Parler de la maternité (du corps en général) comme si deux siècles d’évolution biomédicale ne comptaient pour rien et que notre image du corps était restée intacte n’a pas de sens.

Argument 3 : « Les choses ont un prix mais l’homme a une dignité, loi fondamentale de notre civilisation. »

Contre-argument : on retrouve sans surprise le slogan de la dignité humaine, dont nous avons rappelé ici qu’il est à peu près vide de sens et qu’il sert surtout d’instrument privilégié des manœuvres religieuses ayant recours à des notions (en apparence) laïques.

A cela s’ajoutent dans le texte d’Arduin des piques conservatrices (« Du pain bénit (sic) pour le lobby gay dans son désir d’homoparentalité ») ou des erreurs de perspective (« La jurisprudence américaine a réglé la survenue de conflits en tenant comme souveraine l’expression de l’autonomie individuelle des deux parties qui signent le contrat. Logique utilitariste qui imprègne la bioéthique outre-Atlantique et influence toujours plus la réflexion européenne », ce qui est idiot puisque la reconnaissance de l’autonomie individuelle n’a strictement rien d’utilitariste).

Post scriptum : il existe très peu d'études sur la dimension psychologique des rapports parents-enfants dans le cas d'une naissance par mère porteuse. Golombok et al. (2004) ont analysé le bien-être psychologique des parents, la qualité des relations parents-enfants et le tempérament de l'enfant chez 42 familles ayant eu recours à la gestation pour autrui, 51 au don de gamètes et 80 familles à naissance naturelle. Leur conclusion est que le bien-être psychologique mesuré par questionnaire et observation est supérieur chez les familles où l'enfant est né par mère porteuse. Une seule étude n'est certes pas concluante, mais elle rappelle au minimum que l'analyse des faits vaut mieux que l'expression des préjugés (Golombok S. et al., 2004, Families created through surrogacy arrangements: parent-child relationships in the 1st year of life, Dev Psychol. , 40, 3, 400-11).

(Merci à Peggy d’avoir attiré mon attention sur ce papier).

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