21.6.08

Cellules souches : confiance aux chercheurs ou aux lobbies ?

Dans Le Monde, une tribune de Philippe Menasché (chirurgien cardiaque à l'hôpital Georges-Pompidou, professeur à l'université Paris-Descartes, directeur d'une unité Inserm consacrée à la thérapie cellulaire cardiaque). Il dénonce notamment les manœuvres antiscientifiques prétendant que les cellules souches adultes ont le même potentiel que les cellules souches embryonnaires – 10 ans de recherche ont permis de montrer que ce n’est clairement pas le cas – et appelle la France à se doter de lois bio-éthiques favorisant le travail des chercheurs plutôt que les dogmes des conservateurs.

« (…) La loi de bioéthique doit être révisée en 2009 au terme d'états généraux. Il existe aujourd'hui une crainte réelle que cette échéance soit reportée en raison d'une frilosité gouvernementale d'autant plus frustrante que la France dispose d'atouts importants, scientifiques (qualité des équipes), médicaux (expertise reconnue en recherche clinique) et institutionnels (efficacité de l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé et de l'Agence de la biomédecine) qui restent sous-valorisés.

Cette situation est due à la complexité de la loi actuelle et notamment à son caractère dérogatoire, qu'on peut comprendre dans le contexte de 2004, mais qui n'est plus d'actualité. Ce caractère restrictif rend la position de la France illisible par les autres pays, démotive des équipes dont la recherche fondamentale s'inscrit dans la durée, dissuade nos jeunes postdoctorants intéressés par cette thématique de revenir de l'étranger et décourage les sociétés de capital-risque d'investir sur notre sol.

Malgré le poids de la religion, l'Espagne s'est dotée d'une des législations les plus libérales d'Europe sur les cellules souches. Malgré le poids de l'histoire, l'Allemagne vient de dépénaliser cette recherche. En Californie, le gouverneur républicain Schwarzenegger n'a pas hésité à prendre des positions opposées à celles du président Bush, en déclarant prioritaire la recherche sur les cellules souches et en lui attribuant les financements nécessaires.

Aux Etats-Unis encore, la Food and Drug Administration (FDA) vient d'être saisie de trois demandes d'essais cliniques visant à évaluer les effets de cellules "organe-spécifiques" dérivées de cellules souches embryonnaires humaines dans trois maladies emblématiques : la cécité par dégénérescence maculaire, les paraplégies traumatiques et le diabète. Pendant que l'administration américaine instruit ces dossiers et prépare l'avenir, le ministère de la santé décapite l'Agence de la biomédecine, dont la directrice générale, unanimement saluée par la communauté scientifique et médicale pour sa compétence, n'a pas été reconduite dans ses fonctions, sans doute pour avoir cherché à donner un peu de visibilité à une politique qui en manque.

Il serait malhonnête de prétendre que les cellules souches embryonnaires vont demain révolutionner la médecine. Devant l'étendue de nos incertitudes, affirmer la suprématie d'un type cellulaire sur un autre relèverait d'une attitude antiscientifique. Il y a au contraire obligation à explorer toutes les pistes jusqu'à ce que les résultats de la recherche disent quelle est "la" meilleure cellule pour une maladie donnée. Toutefois, si pour certaines de ces maladies, les cellules souches embryonnaires donnent les résultats prometteurs escomptés, on peut prédire une déferlante.

La France ne serait que spectatrice alors qu'il est peut-être encore temps, en dépit du retard déjà accumulé, qu'elle se positionne en acteur. Pour cela, il est essentiel de respecter l'échéance de la révision de la loi et d'afficher l'importance de la recherche sur les cellules souches embryonnaires en remplaçant le régime dérogatoire par un régime d'autorisations encadrées par l'Agence de la biomédecine qui a fait ses preuves en la matière. Encore faudrait-il que ceux qui ont la charge de la politique sanitaire de ce pays se gardent des lobbies les plus conservateurs, fassent des choix clairs, et les assument ouvertement en faisant leur cette maxime de Talleyrand : "Il n'y a qu'une façon de dire "oui", c'est oui. Toutes les autres veulent dire non." »

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