5.6.08

Des gamètes artificiels (PSCDG) aux modifications germinales

Le groupe de Hinxton rassemble des chercheurs, des décideurs et des éditeurs de presse autour d’une réflexion éthique sur les cellules souches. Il vient de publier un rapport consacré aux PSCDG, c’est-à-dire pluripotent stem cell derived gametes, en français les gamètes dérivés de cellules souches pluripotentes.

De quoi s’agit-il ? Les cellules souches pluripotentes sont capables de se différencier en n’importe quel tissu spécialisé de l’organisme humain. On peut ainsi, au moins sur le papier, fabriquer en laboratoire des cellules constituant notre foie, notre cœur ou nos dents. Les cellules souches pluripotentes nécessaires au processus peuvent être obtenues de deux manières. La première consiste à utiliser un embryon dans les premières phases de son développement. La seconde, bien plus récente (2007), consiste à reprogrammer une cellule adulte en cellule souche (on parle de cellules IPS pour induced pluripotent stem cells, cellules souche à la pluripotence induite).

Une fois établie la lignée de cellules souches pluripotentes, on peut dériver des cellules spécialisées, et parmi elles des gamètes (des ovules ou des spermatozoïdes). Selon le groupe de Hinxton, cela sera réalisable dans les 5 à 15 ans qui viennent. Les tests déjà existants de viabilité et de fonctionnalité pourront être appliqués à ces gamètes. Et, si l’on procède à une fécondation in vitro, tout cela pourrait aboutir à une naissance. Prenons le cas d’un couple stérile – la femme ne produit pas ou plus d’ovule, l’homme pas ou plus de spermatozoïde : les PSCDG pourraient permettre à ce couple d’enfanter, l’enfant n’étant pas un clone (il serait issu de la fusion classique entre l’œuf de la mère et le spermatozoïde du père). Autre exemple : obtenir des ovules dans le cadre d’une FIV se fait par un traitement considéré comme lourd (blocage de cycle et stimulation ovarienne, extraction des ovocytes). Avec les PSCDG, on pourra peut-être produire ces ovocytes en laboratoire, avec un simple prélèvement de cellules sur l’adulte. Tout cela devra évidemment être testé in vitro, puis sur des modèles animaux avant la moindre application à l’homme.

Les PSCDG donneront lieu à des applications assez consensuelles, comme l’amélioration de la recherche fondamentale sur la différenciation cellulaire, les maladies génétiques, les cancers ou l’infertilité. Mais elles ne manqueront pas d’ouvrir le champ à des applications bien moins acceptées aujourd’hui. La principale d’entre elles est la modification génétique germinale : lorsque nous parviendrons à fabriquer des PSCDG, modifier certains de leurs gènes sera plus aisé. Et l’on pourra ensuite tester la viabilité la fonctionnalité des gamètes ainsi modifiés.

En l’état actuel du droit, il est interdit dans bon nombre de pays de corriger les gènes d’un embryon. Si celui-ci est porteur par exemple du gène de la mucoviscidose (mutations délétères du gène CFTR), les parents n’ont pas d’autres choix qu’avorter ou donner naissance à un enfant malade. Ou alors ils doivent fabriquer des embryons par FIV en espérant que certains d’entre eux seront indemnes de la mutation délétère, pour les réimplanter. Mais le médecin ou le généticien ne peut pas intervenir directement sur l’embryon pour remplacer le gène délétère par sa version saine. Cela vaut bien sûr pour toutes les mutations connues, soit qu’elles produisent directement la maladie (pathologie à hérédité autosomique dominante ou récessive) soit qu’elles augmentent en diverses proportions le risque de contracter une maladie plus complexe (gènes de susceptibilité aux cancers, aux pathologies neurodégénératives, etc.). On parle de modifications génétiques germinales car si l’on modifie un gène à un stade précoce (soit sur l’embryon, soit sur les gamètes des parents), cette modification sera présente dans les cellules germinales (gamètes) de l’enfant à naître, et celui-ci la transmettra donc à son tour aux générations futures.

Que penser de cet interdit ? Il me semble hypocrite et infondé.

Hypocrite car, comme cela vient d’être noté, l’autorisation du diagnostic pré-implantatoire revient au même : les parents sont porteurs d’un gène délétère, ils produisent par FIV des embryons, le DPI sélectionne les « bons », ceux qui ne sont pas porteurs de la version délétère du gène transmise à la fois par le père et la mère (dans le cas d’une pathologie récessive où il faut la présence de la copie maternelle et de la copie paternelle pour exprimer la maladie). Au lieu de corriger un embryon malade pour le rendre sain, on va simplement produire plusieurs embryons et choisir ceux qui sont sains au détriment de ceux qui sont malades. Cela représente donc indirectement une forme de sélection génétique germinale.

Infondé car, à partir du moment où les techniques seront au point sans effets secondaires indésirables, on ne voit pas trop au nom de quel respect superstitieux du vivant les humains devraient être obligés de transmettre à leur descendance des gènes connus pour leurs effets négatifs sur l’organisme. Les arguments habituellement avancés ne me semblent pas recevables. En voici cinq – j’évacue d’emblée les arguments techniques sur la fiabilité du processus (son absence de risque connu) ainsi que les arguments religieux sur le respect de la volonté divine ou les arguments semi-religieux sur le respect de la dignité humaine (qui ne sont d’ailleurs pas des arguments, mais des croyances ou des pétitions de principe).

- C’est de l’eugénisme. Si les parents souhaitent empêcher chez l’enfant à naître la survenue d’une maladie ou diminuer son risque, ou bien encore favoriser un trait jugé désirable, on ne voit pas pourquoi la société ou l’État devrait leur interdire de manière autoritaire. Un tel interdit ne respecte ni la liberté des parents, ni l’intérêt de l’enfant. Au nom d’une critique de « l’eugénisme individuel », on défend une sorte de « dysgénisme collectif » difficile à justifier moralement.

- Certains gènes à effet négatif ont aussi des effets positifs. Sans aucun doute, le phénomène est connu sous le nom technique de pléiotropie. Autoriser la modification génétique germinale ne signifie évidemment pas que l’on a intérêt à modifier tous les gènes ou qu’on doit le faire à l’aveuglette. Mais ce n’est qu’une question de temps, pas une question de principe. Dans quelques décennies, chaque gène humain sera connu dans ses différentes versions (allèles), on disposera de banques mondiales de données et d’études longitudinales permettant d’évaluer les effets de ces allèles et de leur combinaison. On pourra ainsi sur des bases plus solides estimer les coûts et bénéfices associés à chacun d’entre eux en terme de santé individuelle. De toute façon, pour bon nombre des quelques milliers de maladies génétiques rares (orphelines), on sait d’ores et déjà que les effets négatifs l’emportent largement sur les effets positifs.

- Choisir les gènes de son enfant revient à choisir son destin et nier sa liberté. Absurde, les gènes forment simplement une partie des conditions initiales de l’existence, certainement pas le contenu concret de cette existence, notamment l’usage que l’on fait de son libre-arbitre. Aucun individu n’a jamais choisi les gènes qu’il a reçus de ses parents, il doit faire avec. Dans certains cas (troubles mentaux), les individus naissent sans pouvoir faire un plein usage de leur libre-arbitre, parfois même en raison du choix de leurs parents de les faire naître ainsi (s’ils ont refusé d’avorter).

- À terme, cela va diminuer la diversité génétique de l’humanité. Si cette diminution se fait au détriment des 1, 5 ou 10 % d’allèles (et non de gènes) connus pour leur impact négatif sur la santé et le bien-être, ce ne sera pas nécessairement une perte énorme : on doit cesser de penser que la nature fait toujours bien les choses, ce qui est faux. La nature produit des variations aléatoires et les teste de manière aveugle, cela n’a rien de bon ou de mauvais en soi, l’homme ne s’est jamais caractérisé pour son respect fataliste de l’aléa naturel, bien au contraire. De toute façon, nous aurons la possibilité de conserver dans des banques toutes les versions connues de tous les gènes.

- Cela va créer des inégalités entre lignées modifiées et lignées non modifiées. Par définition, ces inégalités existent déjà à l’état naturel (entre les parents qui portent des gènes favorables et ceux qui ne les portent pas) : refuser une inégalité artificielle revient à sanctifier une inégalité naturelle. En tout état de cause, cet argument est contingent : on ne peut refuser une innovation sous prétexte qu’elle avantage certains (c’est le cas de toute innovation), il vaut mieux dans ce cas travailler à sa démocratisation rapide. Enfin, on peut aussi rappeler que l’égalité concerne avant tout l’égal respect des droits individuels quel que soit le bagage génétique des individus.

Référence :
Le texte de consensus du groupe de Brixton sur les PSCDG peut-être télécharger ici (pdf, anglais).

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour, je ne partage pas vos arguments. Le choix d'une modification de la lignée germinale est la considération de l'animal-humain comme d'un objet et la recherche non pas d'un enfant, mais de L'enfant (avec une majuscule). C'est à dire de qq.chose d'idéal.
L'idéal étant formaté au coeur de la société, je ne serai pas surpris que des parents cherchent à engendrer des être aux potentiel productifs faramineux. Le productivisme en sera ravi.

L'intervention des parents dans la lignée germinale est une intervention surlaquelle l'enfant ne pourra jamais revenir contrairement aux choix politique, technique, sociaux, éducatifs, dont on peu espérer que l'enfant puisse se libérer une fois sa majorité atteinte.

C. a dit…

Bonjour et merci de votre commentaire.

J'y vois plusieurs arguments.

- Souci de l'enfant. La plupart des gens considèrent leurs enfants comme ce qui est le plus précieux, et qui peut justifier toutes sortes de choses (à commencer par une forte dépense de temps, d'énergie, de ressources). Il est donc logique que ce souci de l'enfant porte aussi sur son bagage génétique.

- Les idéaux de l'individu sont formatés par la société. C'est vrai en partie, mais si les idéaux sont universellement partagés, et sont donc finalement les idéaux humains, où est le problème? Changer l'espèce humaine la fera alors tendre vers son idéal d'elle-même. Mais en réalité, je doute de la généralité de votre postulat : sur plein de domaines, les individus ne déduisent pas leur idéal de la société ou même de la pratique majoritaire de cette société, ils choisissent parmi toutes sortes d'idéaux disponibles. Il n'y a aucune raison de les contraindre à quoi que ce soit (à commencer par le fait de choisir entre sélection artificielle et loterie génétique). Le problème est donc antérieur, et il regarde la philosophie politique / morale : une société qui impose par la contrainte son idéal à l'individu n'est pas une bonne société.

- Engendrer des enfants plus productifs. J'ai un peu de doute sur le caractère universel de cet idéal. Vous ne semblez pas le partager, moi non plus, nous sommes probablement un certain nombre à ne pas y voir quelque chose de désirable en soi. Mais surtout, je ne vois pas trop ce que pourrait être la base génétique du productivisme, ni à quel trait humain il répond précisément. S'il s'agit d'être plus intelligent, je trouve cela désirable (mais sans rapport avec le productivisme). S'il s'agit d'être conformiste et soumis à l'autorité, je ne trouve pas cela désirable. Etc.

- Impossibilité de revenir en arrière. D'une part, vous ne pouvez pas revenir en arrière sur votre hérédité naturelle. D'autre part, rien n'exclut que l'on possède un jour la possibilité de modifier au cours de l'existence l'expression des gènes dont on est doté à la naissance (de manière naturelle ou artificielle, peu importe).

Anonyme a dit…

Merci de votre réponse. Effectivement je ne partage pas l'idéal de la productivité. Mais il n'y a pas besoin de contraindre les personnes pour que celles ci le partage. Le slogan de Sarkozy était travailler plus (pour gagner plus). Le productivisme est une recherche de la majorité des français votant, semble t'il.

Dors et déjà il existe des travaux qui nécessite la détention d'un portable ou d'une voiture. Il n'y a pas de raison que de nouveaux travaux ne nécessite pas une modification génétique. Non ?

C. a dit…

Le choix d'un bulletin de vote et l'éventuel choix d'un gène ne sont pas les mêmes, et ne mettent donc pas en jeu les mêmes réflexions. De sucroît, "travailler plus pour gagner plus" est une règle d'action indépendante du bagage génétique de l'acteur : l'approuver ne signifie pas que l'on préfère un certain type humain, simplement un certain rapport travail-revenu.

Si l'on doit faire de la futurologie crédible, je pense que les premières pressions pourraient plutôt venir des systèmes de santé (publics ou privés ie sécurités sociales ou compagnies d'assurance). S'il est un jour possible d'éviter simplement des gènes de prédisposition à des maladies dont la prise en charge est coûteuse (Alzheimer, diabète tardif, etc.), on peut imaginer que les individus seront incités à le faire, par exemple sous la menace d'une cotisation plus élevée.

Anonyme a dit…

effectivement, les systèmes d'assurances privé ou public sont en général de bon indicateurs, je partage donc votre avis. Mais pour les gènes je ne sais pas ce qu'il déciderons. On sait déjà qu'il ne veulent pas assurez les produit fait avec des nanotechnologies....