22.6.08

Améliorer son intelligence fluide

L’intelligence, ou capacité cognitive générale (g) pour les psychométriciens et les généticiens, est à la convergence de plusieurs aptitudes cognitives plus spécialisées. Par exemple, la vitesse de réaction (temps neuronal pour réagir à un stimulus) ou la mémoire de travail (mobilisation à court terme d’informations pour accomplir une tâche intellectuelle) sont des composants de l’intelligence. Au sein de g (intelligence générale), et au-dessus de ces modules spécialisés, beaucoup de théories distinguent deux grands types : l’intelligence cristallisée (Gc) et l’intelligence fluide (Gf). La première se réfère aux apprentissages dans un domaine donné. La seconde concerne plutôt la capacité à s’adapter à de nouveaux problèmes ou de nouvelles situations.

Les tests standardisés de QI donnent un poids différent à Gc ou Gf selon leurs conceptions : le Weschler, qui inclut des épreuves de vocabulaire ou de mathématiques, fait une part importante à l’intelligence cristallisée, tandis que les Matrices de Raven, présentant des items visuels, sont bien plus centrées sur l’intelligence fluide. Notons que ces tests sont étalonnés les uns par rapport aux autres, ce qui permet d’obtenir une valeur de QI commune. L’intelligence doit être vue comme un modèle factoriel hiérarchique : au sommet, g, l’intelligence générale, facteur commun de variation aux épreuves cognitives ; puis Gc et Gf ; puis une douzaine d’aptitudes spécialisées. Le fait qu’il existe toujours une corrélation positive entre ces dernières est à l’origine de l’approche factorielle de l’intelligence : celle-ci désigne simplement le fait qu’en moyenne sur une population, lorsque l’on performe dans une aptitude spécialisée, c’est aussi le cas dans les autres. S’il n’y avait pas un facteur commun de variance, mais des modules juxtaposés et indépendants, cette observation deviendrait incompréhensible.

Pendant longtemps, on a considéré que la part fluide de l’intelligence, qui présente la plus forte héritabilité, ne pouvait guère être améliorée. Autant Gc dépend de l’apprentissage (plus vous lisez, plus vous avez de vocabulaire par exemple, encore faut-il avoir envie de lire bien sûr), autant Gf ne l’est pas. Surtout à l’âge adulte, où l’héritabilité est élevée (0,8) et où les capacités cognitives sont en quelque sorte fixées, les progrès se faisant plutôt dans les domaines spécialisés. On observe certes un phénomène d’habituation aux tests (plus on en passe du même type, plus on connaît « les trucs »), mais pas de gains réels en intelligence fluide par un entraînement indépendant des tests. Un travail mené par l’équipe de Susanne M. Jaeggi vient de montrer que ce n’est pas une fatalité.

70 jeunes volontaires, en bonne santé (dont 36 femmes, âge moyen 25,6 ans), se sont prêtés à des sessions d’entraînement cognitif. Les épreuves, indépendantes des tests de QI, consistaient à observer simultanément différentes séries de stimuli dans un temps court, pour les recomposer ensuite. Cet entraînement a duré 8, 12, 17 et 19 jours dans quatre groupes différents (pour la moitié des volontaires, l’autre moitié étant un groupe de contrôle sans entraînement). Il durait une demi-heure par jour. Tous ont passé avant et après des tests de QI connus pour mesurer Gf (Matrices de Raven, version courte des Matrices de Bochumer). Résultat : l’entraînement s’est bel et bien traduit par des gains en intelligence fluide. Ces gains ont été proportionnés à la durée du stage précédant le test. Ils étaient en revanche indépendants des capacités initiales.

Dans un commentaire du papier, Robert J. Sternberg (théoricien de l’intelligence triarchique, componentielle-expérientielle-contextuelle) souligne son intérêt et ses limites. D’abord, c’est évidemment une bonne nouvelle (et surtout une nouvelle tout court) que Gf soit ainsi modifiable par un entraînement chez l’adulte. Le résultat est probablement transposable et avec de meilleurs effets chez l’enfant, où l’héritabilité de g et Gf est moindre. Ensuite, ce travail de Jaeggi et al. a été rendu possible par les progrès des neurosciences cognitives : les épreuves d’entraînement ont en effet été conçues selon l’hypothèse du rôle central de la mémoire de travail dans Gf. Le résultat confirme l’exactitude de l’hypothèse et montre qu’une connaissance de plus en plus fine de l’esprit-cerveau permet d’agir efficacement sur celui-ci. Enfin, et du côté des limites, il ne s’agit que d’une expérience demandant à être répliquée sur des échantillons plus nombreux. Un contrôle du placebo serait utile, c’est-à-dire une expérience identique sans que les participants sachent que la finalité tient à des tests cognitifs. La durée du gain cognitif en Gf est surtout un facteur important : on a souvent constaté dans le passé diverses améliorations provisoires de diverses aptitudes spécialisées, mais celles-ci disparaissaient assez rapidement après la fin de l’entraînement.

Références :
Jaeggi S.M. et al. (2008), Improving fluid intelligence with training on working memory, PNAS, online pub., doi : 10.1073/pnas.0801268105
Sternberg R.J. (2008), Increasing fluid intelligence is possible after all, PNAS, onlinepub., doi : 10.1073/pnas.0803396105

(Merci à Susanne M. Jaeggi de m’avoir fait parvenir son texte).

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