17.12.08

L'espèce est-elle un concept policier ?

Dans un échange assez consternant, publié dans Le Figaro, entre Pierre d'Ornellas (groupe de travail de la Conférence des évêques sur la révision des lois de bioéthique) et Alain Grimfeld (professeur de médecine, président du Comité consultatif national d'éthique), ce dernier conclut : «Il existe une tentation forte pour certains à vouloir créer un ‘transhumanisme’. Nous sommes arrivés à un stade de technicité tel qu'ils pensent que nous sommes capables de créer un autre homme quittant la branche humaine actuelle pour en créer une autre, de toutes pièces. Cette famille de pensée est nourrie aux États-Unis par des budgets absolument colossaux. Ce qui nous amène à nous définir entre êtres humains. La convergence va s'opérer entre ceux qui diront ‘non, nous tenons à la conservation de l'espèce humaine dans son évolution ontologique, nos principes éthiques fondamentaux nous interdisent de créer un autre homme’. Et ce sera pour des raisons de respect premier de la dignité humaine mais également pour des motivations fondées sur l'exégèse des Écritures. Ce sera un vrai choix. En face il y aura ceux qui diront : ‘ce stade est dépassé, l'intelligence de l'espèce humaine est maintenant telle qu'elle est capable par les progrès technologiques qu'elle engendre, sa sophistication neuronale, de créer une autre espèce, et qu'il est temps de franchir le pas’. Là, il n'y aura pas convergence, mais divergence fondamentale. Aujourd'hui, cette convergence sur la question du maintien de l'espèce humaine existe, notamment avec l'Église catholique mais également avec d'autres familles de pensée ou religieuses.»

En lisant ce genre de présentation fantasmatique et caricaturale du débat, on ne s’étonnera pas que Grimfeld constate dans le reste de l’entretien ses nombreuses convergences avec les positions de l’Eglise catholique exprimées dans Dignitas personae. Personne à ma connaissance n’imagine créer de novo, sur une paillasse de laboratoire, une nouvelle espèce humaine. L’enjeu concret, c’est la possibilité d’utiliser les progrès technoscientifiques pour soi et/ou sa descendance, y compris lorsqu’elles amènent à diverses modifications des constituants du corps humain. Et cet enjeu est double, puisqu’il y a la possibilité éthique (et légale) d’une part, la possibilité pratique (et économique) d’autre part. A côté de cela, on peut mener une réflexion à la fois philosophique et scientifique sur le concept d’espèce humaine, sa réalité, sa portée, son évolution attendue. Je trouve pour ma part assez étonnant que les mêmes individus se montrant généralement horrifiés quand on restreint les libertés d’un individu au nom de son groupe (sa nation, sa race, sa religion, etc.) trouvent toute naturelle cette restriction lorsque le groupe devient l’espèce. J’y vois une simple translation de la même mentalité de base, orientée vers l’éventuel sacrifice de l’individu au groupe et le nécessaire contrôle du premier par le second, la revendication au nom de l’espèce vous donnant la réputation d’un généraux humaniste alors que les autres vous font passer pour un affreux nationaliste, raciste, intégriste, etc. Mais au fond, si l’on commence à prendre l’appartenance à l’espèce comme une catégorie ontologique créant des impératifs pratiques, on aboutit exactement au même genre de processus : certains vont s’autoproclamer les directeurs de conscience de l’espèce, d’autres ses directeurs de police, tous vont entreprendre de dicter à l’individu ce qu’il doit et ne doit pas faire. Sous couvert d’humilité et de bonté, on en arrive à l’incroyable posture : «Voici ce que l’espèce a décidé pour toi».

PS : il serait par ailleurs intéressant que Grimfeld, qui est scientifique et donc attentif à la précision des faits d’observation, nous donne le montant exact des «budgets absolument colossaux» du transhumanisme aux Etats-Unis. Et le compare, à titre d'ordre de grandeur, aux montants des divers groupes de pression religieux dans le même pays.

1 commentaire:

bug-in a dit…

je ne trouve pas que ce soit si grotesque et qu'il s'agisse d'une carricature, bien que je partage votre avis sur un spécisme comparable au racisme, nationalisme et autre sexisme. Quand on lit ce qu'ecrit fukuyama ou kurzweil, on comprend parfaitement qu'il parle d'engendrer une autre espèce et pas uniquement d'un choix personnel. Et une nouvelle espèce n'implique pas qu'il y ai des multitudes d'individus identique. Je crains que parfois on aime bien malcomprendre et jouer sur les mots pour se forger des ennemies sur des malentendus.
Pour ma part cependant je suis en désaccord avec les idées du transhumanisme pour des raisons écologiques et morale (la il faudrait trier selon les pouvoirs acquis, mais le problème central c'est la destruction de l'intime au profit d'une idolatrie pour la totale transparence).