2.12.08

Violence, sexe, religion, langage : patchwork par temps compté

Non chers lecteurs, je ne faisais pas partie du groupe de Tarnac terrorisant les caténaires (sur lequel je reviendrai dès que possible tant le comportement de l’État m’exaspère) pas plus qu’une terrible maladie émergente ne m’a emporté : c’est simplement le travail alimentaire qui me laisse bien peu de répit ces temps-ci. Les choses sont mal faites, j’en ai beaucoup quand d’autres semblent cruellement en manquer… Voici un petit patchwork extrait de l’actualité récente, sans aucune prétention à l’exhaustivité donc, tant mon Google Reader déborde (cette fonctionnalité est merveilleuse, mais à peine laissez-vous quelques jours sans la consulter et voilà des centaines d’abstracts ou de communiqués qui vous attendent, cela en devient vite stressant.)

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La guerre a-t-elle guidé l’évolution humaine ? C’était le thème d’une conférence tenue le mois dernier à l’Université Eugene (Oregon), ayant réuni primatologues, psychologues, anthropologues, archéologues et spécialistes des sciences politiques, dont le New Scientist a longuement rendu compte. Un nombre croissant de chercheurs considèrent en effet que certains comportements de notre espèce ne sont pas explicables sans une forte compétition entre groupes au cours des centaines de milliers d’années ayant accompagné l’hominisation. Il faudrait préciser que cette agressivité humaine est avant tout une agressivité des mâles humains, puisque la disposition à former des coalitions pour agresser d’autres coalitions se retrouve peu chez les femelles humaines, et avant elles chez les femelles chimpanzés, nos plus proches cousins. La guerre, comme la chasse, a ceci de particulier qu’elle demande un haut niveau de coopération pour être menée avec succès. Cette dimension coopérative s’observe dans les penchants solidaires, égalitaires et identitaires d’Homo sapiens, aussi prompt à s’identifier à un groupe (y compris un groupe lointain et abstrait grâce à ses facultés cognitives) qu’à percevoir un autre groupe comme un adversaire.

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S’il est écrit que les hommes tabassent (ou sont portés à le faire), un préjugé symétrique suggère que les femmes bavassent (ou y sont disposées). Enfin, pas exactement un préjugé puisque de nombreuses études, depuis l’enregistrement des babillages des premiers mois jusqu’à la comparaison des durées d’appel téléphonique, ont objectivement montré qu’un sexe bavarde plus que l’autre. Un travail mené par Nathalie Greeno et Stuart Temple, publié dans Evolution and Human Behavior, a examiné la communication vocale chez les macaques rhésus. 16 femelles et 8 mâles ont été observés systématiquement pendant trois mois, et plus spécifiquement les différentes vocalisations liées à la vie sociale (grognements, grommellements et autres petits cris accompagnant les épouillages, les cours, les jeux, etc.), à l’exclusion de celles liées à la présence de nourriture ou de prédateurs. Il en ressort que les femelles sont 13 fois plus prolixes en vocalisation que les mâles. Et qu’elles s’expriment de préférence entre elles (trois fois plus) alors que les mâles ne font pas de différence. La co-évolution du langage et de la socialité pourrait donc avoir une solide composante féminine.

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On revient à la violence en Allemagne, à Eulau plus précisément, où l’équipe de Wolgang Haak (Université Johannes Gutenberg) a mis à jour quatre tombes vieilles de 4600 années, et 13 squelettes y attendant les chercheurs depuis le néolithique. Celles-ci présentent deux particularités : d’une part, l’une des tombes est celle d’une famille nucléaire (un père, une mère et leurs deux enfants), la plus ancienne mise à jour ; d’autre part, une pointe de flèche enfoncée dans la colonne vertébrale ainsi que plusieurs traces létales de coups sur les corps des femmes, des enfants comme des vieillards suggèrent des morts violentes, probablement des raids sur un village. Ce triste récit peut être lu dans les PNAS.

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On ne quitte décidément pas la violence avec René Girard, dans Le Monde. Pour ceux qui l’ignorent, cet anthropologue et philosophe développe depuis une trentaine d’années une idée (toujours la même diront les mauvaises langues) que l’on peut résumer grossièrement ainsi : les hommes sont portés à la rivalité mimétique (ils désirent sans cesse ce que les autres ont ou sont) ; le besoin de vengeance finit par désigner un bouc émissaire, voué au sacrifice ; le sacrifice religieux concentre et canalise la violence du groupe, et participe donc centralement à l’hominisation ; enfin, le christianisme renverse définitivement cette logique sacrificielle avec la Passion de Jésus, qui annule symboliquement la vertu du bouc émissaire. Au début de son papier, Girard note : «Ce n'est pas dans les Écritures, ni dans la théologie que s'enracine mon intérêt pour le christianisme. Cet intérêt, aussi étrange que cela puisse paraître, vient du darwinisme. Cette théorie évolutionniste suppose que la culture humaine a évolué depuis ce que nous appelons la "culture animale". Peut-on élaborer une genèse plausible de ce qui n'est pas animal dans notre propre culture - ce "supplément" qui fait de nous des hommes ?» Il est malheureusement douteux que le thème girardien de la rivalité mimétique parvienne à lui seul à exposer cette spécificité humaine (ni, d’ailleurs, à exposer grand-chose d'autre qu'un aspect de la violence multiforme), surtout quand on l’observe dans la logique darwinienne. Mutatis mutandis, c’est un peu comme l’œuvre (plus riche) d’un autre anthropologue, Claude Lévi-Strauss, dont on vient de fêter le centenaire : on trouve de très belles observations ethnographiques (chez l’un) ou de très intéressantes envolées philosophiques (chez l’autre), mais concernant la scientificité stricto sensu, on ne sait au juste ce qui franchira l’épreuve du temps au cours de ce siècle…

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Lorenza Colzato, Wery van den Wildenberg et Bernard Hommel se sont pour leur part penchés, dans la revue en libre-accès PloS ONE, sur la religion, plus précisément sur la manière dont elle influence l’attention visuelle. 40 jeunes adultes en bonne santé, d’origine néerlandaise, de milieu socio-économique et d’intelligence comparables ont été sélectionnés : 20 étaient des calvinistes, 20 des athées. Les volontaires ont passé le test de Navon, qui vise à distinguer la perception globale de la perception locale (par exemple, des grandes lettres formées de petites lettres, passant à vitesse assez rapide pour que certains ne sélectionnent que l’un ou l’autre aspect). Résultat : les calvinistes ont montré une tendance à la perception locale, les athées à la perception globale. Les auteurs suggèrent que les arrière-plans religieux ne seraient pas indifférents à la construction des modes perceptifs au cours du développement. Par exemple, l’insistance stricte des calvinistes sur la souveraineté de la sphère personnelle (d’abord porter attention à soi et à ses actes dans le monde) pourrait les conduire à une vision plus fragmentée de leur milieu.

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Dans Science, l’équipe d’Elia Formisano rapporte un étonnant résultat : l’association d’une imagerie par résonance magnétique fonctionnelle et d’un algorithme d’analyse des données a permis d’identifier, en examinant seulement le cerveau de 7 sujets, qui ils écoutaient et ce qu’ils écoutaient. Les volontaires avaient d’abord entendu trois personnes différentes et une liste de voyelles. Les chercheurs ont alors noté l’empreinte neurale spécifique de chaque type de voix et de son ainsi entendus. Ils sont ensuite parvenus à les ré-identifier correctement dans le cerveau. À mesure qu’augmente la précision spatiale et temporelle de l’observation des populations neurales, la perspective se précise d’une « lecture » directe des pensées dans le cerveau.

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