23.12.08

GPA : les haptodivagations de la fille Dolto

Il a fallu supporter les approximations de la mère pendant des décennies, voilà que la fille prend la relève… Catherine Dolto exprime dans Le Figaro toute l’horreur que lui inspirent les mères porteuses (GPA : gestation pour autrui). Le journal titre carrément «l'humanité de l'enfant en péril». Je croyais au début qu’un savant fou avait conçu de faire porter un bonobo ou un macaque à une femelle humaine. Mais non, c’est un simple effet de la surenchère verbale en ce domaine, devenue le lot commun de la média-moralisation à base émotive. Mais ce titre, nous allons le voir, reprend assez fidèlement les divagations de madame Dolto fille. Laquelle, signalons-le au passage, est «haptopsychothérapeute» de profession. Ce qui est déjà à soi seul un objet de méditation.

Alors que toute naissance est supposée être une joie, Catherine commence par un tableau cataclysmique. Sortez vos mouchoirs : «Peu de voix se soucient de la charge de souffrances qui accompagneront inévitablement de tels dispositifs. Celle de la mère qui abandonne, celle de ses autres enfants (la future loi imposerait qu'elle en ait), celle de son compagnon et celle de l'enfant à naître, si poreux, dès la vie prénatale, aux affects de ceux qui l'entourent». De l’embryon à la grand-mère en passant par les voisins et le chien, on souffre donc de 7 jours à 77 ans dès lors qu’une femme porte l’enfant d’une autre.

Et sur cette base lacrymale ayant déjà noyé nos meilleures défenses, elle enchaîne sans transition aucune par une question métaphysique : «Comment préserver le sentiment de sa dignité quand on est le résultat d'une transaction, d'un contrat, d'une livraison ?» Non seulement la gestation pour autrui fait pleurer les chaumières, mais elle produit un pauvre petit être écrasé par l’indignité fondamentale dont sa conception est entachée. Sans doute un client potentiel pour une haptopsychothérapie…

Mais attention : «Ce qui est en cause, c'est le statut de l'enfant comme sujet. En le traitant en objet convoité, auquel chacun a droit s'il peut payer, en lui proposant comme premier lien affectif, fondateur, un marché de dupes entre ses parents et une femme qui accepte d'être ainsi utilisée un temps pour disparaître ensuite, c'est l'humanité même de l'enfant que l'on met en péril». Donc, on doit comprendre que le statut de sujet se déciderait pendant la gestation d’un individu au lieu de se construire au cours de son développement. C’est assez terrifiant, comme perspective, mais plus encore étonnant puisque le fœtus ou le bébé n’a pas tellement les bases neurales fonctionnelles nécessaires à ce processus de subjectivation. On notera que le discours est exactement celui de l’Église catholique dans ses attendus (l’œuf fécondé a déjà la dignité d’une personne, seul l’amour dans un couple peut présider à une naissance depuis le corps de la femme) sauf qu’au lieu d’être justifié par le dogme, il procède ici d’une dégoulinade de bons sentiments et d’une tartinade de moraline n’éprouvant apparemment pas le besoin de s’argumenter rationnellement.

Poursuivons : «La situation de l'enfant né d'une mère porteuse n'est pas comparable avec celle de celui qui est abandonné puis adopté. Ce dernier est conçu naturellement, même si c'est dans les conditions difficiles, sans projet d'abandon. Ce qui constitue une rupture éthique dont nous devons mesurer la gravité, c'est le nouage, au même instant, d'une procréation manipulée par la technique médicale et d'un abandon programmé. C'est dans l'intention que se joue l'essentiel. Cela se pratique déjà tous les jours chez les éleveurs qui veulent obtenir des animaux de qualité.» Vous aurez noté que le problème semble ici l’intention de la mère porteuse – la fameuse tarte à la crème de l’instrumentalisation du vivant. Mais plus loin :

«Vers 1975, le nouveau-né était encore souvent considéré comme un tube digestif vaguement sophistiqué, sans émotions ni sentiments. Chercheurs et cliniciens du monde entier ont prouvé depuis combien cette vision erronée est pathogène. Ils ont validé les certitudes que certains psychanalystes avaient avancées dès 1939, disant que l'éducation commence bien avant la naissance. En effet, la vie affective du petit humain est intense dès son plus jeune âge. On sait maintenant qu'il n'y a non pas une, mais des mémoires. Ces mémoires multiples, inscrites dans la chair, influencent notre manière d'orienter nos vies. Tout être humain est en partie modelé par son histoire et celle de ses parents. Ses émotions pendant sa gestation laissent des traces profondes qui se manifesteront en terme de santé physique et psychoaffective au cours de sa vie. (…) Dès sa vie prénatale, l'enfant est curieux du monde qui les entoure, lui et sa mère. Bien avant d'avoir une audition, il perçoit les vibrations des sons. Très vite, il discrimine les voix. Ces traces mnésiques vocales perdurent étonnamment longtemps. (…) La façon dont la grossesse est survenue, dont elle a été acceptée, dont elle s'est déroulée, les circonstances de la venue au monde de chaque enfant, les sentiments de peur, d'angoisse, de joie, les sentiments de culpabilité qui entourent ces périodes, tout cela colore fortement le lien qui se tisse entre l'enfant et sa famille. Dans les heures qui suivent son arrivée dans le monde aérien, il est essentiel que le nouveau-né puisse se dire : ‘C'est bien eux, donc c'est bien moi.’»

Donc, après avoir incriminé l’intention de la mère porteuse et des parents (coupable et comparable à celle d’un éleveur de bétail), voilà maintenant que le problème réside dans les liens affectifs entre le fœtus et la mère. Le registre n’a évidemment rien à voir, le premier est un jugement de valeur, le second un jugement de fait. Quant à ces fameux liens affectifs, ils sont assez curieux sous la plume de Catherine Hapto, pardon Dolto. D’abord, elle simplifie et caricature des questions assez complexes et ouvertes en science, relatives à la biologie du développement, aux échanges placentaires, à l’empreinte maternelle et l’épigénétique, à la maturation neurale et la synaptogenèse, à l’effet de réponses immunes et inflammatoires sur le fœtus, etc. Tous ces sujets – très passionnants mais relativement spéculatifs et où les données expérimentales sont encore rares – deviennent un gloubi-boulga aussi imprécis que généreux. D’où il ressort que le fœtus entrerait en fusion émotive avec sa mère et développerait une mémoire postnatale de cette fusion, au point que toute séparation ultérieure deviendrait un traumatisme définitif. À ce compte-là, les nombreux enfants abandonnés ou orphelins seraient tous de grands malades de la vie.

L’article s’achève sur un bouquet final où l’enfonçage de portes ouvertes le dispute au recyclage d’idées anciennes : «L'humain est un mammifère singulier, d'une espèce nidicole, dont les petits ne peuvent se développer sans un entourage protecteur pendant les premières années. Nous dépendons des autres, mais d'une manière différente des animaux qui vivent en groupe. Avoir inventé le néocortex fait de nous des mammifères dotés de parole et de mémoire. L'imaginaire, le symbolique, la parole, nous rendent assoiffés d'amour, de sécurité, de besoin d'espérer. Il existe un lien étroit et actif entre la manière dont une société encadre la gestation et la petite enfance et l'évolution que les enfants ainsi traités feront subir à leur cadre social. La question qui se pose implicitement à toutes les cultures est la suivante : comment tirer le petit mammifère humain vers son humanité plutôt que l'abandonner à ses pulsions de consommateur, y compris dans son rapport à autrui ? Cette question en entraîne une autre : comment canaliser la violence pour permettre la vie en groupe ?». Tout cela n’a absolument plus rien à voir avec les mères porteuses, sauf si elles sont implicitement accusées d’accoucher de consommateurs à pulsions violentes – mais alors, pas mal d’humains doivent être nés en gestation pour autrui, il suffit de regarder autour de soi...

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11 commentaires:

Unknown a dit…

"Avoir inventé le néocortex [...]"
j'adore ce début de phrase ^^
Mais en fait on a inventé l'évolution et c'est pour ça qu'on existe. (ou alors on a inventer Dieu et c'est pour ça qu'on existe)

Anonyme a dit…

Oui mais Charles en même temps si les gènes sont importants, la mère porteuse gêne.

Depuis pas mal de temps, je m'étais posée des questions sur les enfants nés grâce à une banque de sperme. Je me disais mais cela doit rendre dingue ce don de sperme anonyme, qui est Papa? Un sperme anonyme. Et puis j'ai pensé que je devais divaguer, et que tout devait très bien se passer dans le meileur des mondes.

Or, j'ai lu il y a de cela deux ans je crois, un article (dans Elle?), décrivant la révolte des enfants nés de la banque du sperme, qui exigent de savoir qui est leur père, et certains de ces enfants, appellent la banque du sperme, la maison qui rend fou.

L'homme est un robot pensant.

C. a dit…

(AI) Vous savez, tout est "important" pour un individu – ses gènes et surtout... tout le reste ! Ensuite, c'est une question de psychologie. Mon intuition est que ce genre de "quête d'ascendance" n'est pas vraiment programmée par l'évolution, plutôt une cristallisation culturelle (à l'inverse, la "quête de descendance" doit être forte évolutivement parlant). Ce serait intéressant de réfléchir là-dessus, d'ailleurs, ce qui pousse vraiment des gens à chercher leurs origines. Une vraie enquête sur une cohorte d'adoptés, afin d'analyser la prévalence de cette demande, sa période et ses facteurs d'émergence, etc. Parce que les articles de "Elle" et consorts, vous savez ce que c'est, on prend quelques cas particuliers à partir d'une idée préconçue, on transforme cela en "phénomène de société". Mais je suis agnostique sur le fond de la question, il y a d'ailleurs peut-être des travaux que je ne connais pas.

PS : j'ai lu jadis des papiers sur la "banque Nobel" de Shockley (dons de sperme de hauts QI), mais assez orientés. On se focalisait sur un ou deux cas "mal dans leur peau", sans information plus large sur le devenir des enfants nés ainsi.

C. a dit…

(Ajidicia) En effet, merci de la remarquer (j'étais dans les hapto-brumes en lisant ce papier). Ce genre de tournure est assez révélateur de l'état d'esprit d'un auteur (le néocortex a été "inventé" pour conforter ses vue en 2008, pas pour l'environnement humain voici quelques milliers de générations où le néocortex a réellement évolué).

Anonyme a dit…

Cet article me donne des maux de tête !

Dur, dur !

Anonyme a dit…

La banque du sperme a un succès fou. Les scientifiques étouffent complètement le fait que les enfants demandent à savoir qui ils sont génétiquement, ne serait ce que par rapport aux maladies justement, mais c'est plus profond que cela, bien plus profond.

Les médecins et les scientifiques cachent aussi très soigneusement ceci.

Cela leur prend trop la tête de réfléchir à ce genre de trucs, ils préfèrent faire comme si cela n'existait pas, comme pour les OBE après les réanimations.

Les athés rejettent le spirituel, les spirituels rejettent la sciences.

On n'avance pas beaucoup, mais si tout de même, on avance, malgré tout.

Que 2009 soit plus mutante que jamais, pour CM. Qu'il passe en 4ème.

flornueva a dit…

Les enfants nés d'une mère porteuse seraient donc voués à souffrir toute leur vie d'une sorte d'hospitalisme. Ils seraient alors dès la conception des petits d'hommes sociopathes en devenir.

Il va de soi qu'en tenant ce genre de discours spirituels, Dolto Junior participe à un système où effectivement, seuls des couples ayant les ressources financières, intellectuelles et psychologiques suffisantes pourront avoir recours à ce type de procréation assistée.

Tout cela me donne très, très envie de pousser mon cri primal (j'étais trop empreinte de traumatismes passés, présents et à venir pour le faire lors de ma naissance).

Anonyme a dit…

Plutôt d'accord avec l'opinion de Catherine Dolto.

L'instrumentalisation de l'enfant a toujours existé, mais avec la GPA elle franchit un nouveau pas.

Al, pas besoin de lire Elle et cette histoire de révolte : il me suffit de savoir par quelle dépression est passé l'an passé le fils d'une amie ainsi conçu. Il en est sorti bien sûr, notamment parce que son entourage, dont moi, ne donne pas dans la victimolâtrie et le culte de la blessure perpétuelle.

Mais enfin, il n'y a pas urgence à charger la mule de nos enfants.

Et le "droit à l'enfant", pour moi, ça n'existe pas. Un enfant n'est pas un objet, point. Un enfant né en GPA devra faire leur deuil de sa vie in utero, devra accepter d'avoir été conçu pour un autre et non pour lui. Oh c'est faisable, heureusement dans la vie rien n'est définitif que la mort. Mais acceptez-le pour vous, ne l'imposez pas à l'autre.

Deux exemples de conçu-pour-un-autre et de conçu-pour-lui, j’en ai dans mon entourage. Elle, que sa mère appelle encore « ma petite fille » alors qu’elle a trente deux ans et trois enfants, que ses parents font ch… car elle veut aller travailler à 800km ; lui que son père appelle par son prénom, père qui a reçu dans le conflit dont je vous parle ce beau compliment : « Merci d'être un père et un grand-père, respectueux et positif envers nos choix de vie ». Comme disait Pierre Perret : les enfants, foutez-leur la paix.

PS ailleurs, le bon sens voudrait, au nom des liens créés, qu'on foute la paix aux jumelles et à leur parents.

Anonyme a dit…

Je précise, si c'était nécessaire, que je ne fais partie d'aucune secte psychanalytique, religieuse etc.. Pour la religion, j'ai hélas donné, et cela m'a définitivement vacciné contre toute forme d'adhésion autre qu'une une assoc' de vieilles voitures, rendez-vous à Rétromobile en février.

Que je n'ai aucune croyance.

Plus exactement je ne crois qu'à ce que je vois.

Et que ce que j'ai vu, de par mon métier, ce sont trop enfants instrumentalisés, priés dès la naissance de prendre leur case dans la grosse valise Vuitton de Papa-Maman. La lecture du carnet mondain de Libé fut souvent pour moi le moment le plus triste de la journée. Heureusement, j'ai résilié mon abonnement.

Manuel Montero a dit…

Je suis plutôt d'accord avec Dolto fille, malgré votre indignation de savant fou. D'ailleurs vous échouez à la ridiculiser, puisque elle dit vraiment de choses, et vous vous êtes plus embrouillé que la patte d'un romain. Je vous ai laissé une note dans le blog de Léo Scheer, à propos du mot "aliénation", que vous trouviez obscur(antiste).

Manuel Montero a dit…

On continue, si vous voulez, là-bas, j'avoue que j'ai besoin d'accéder à vos scoops scientifiques par petites gorgées.