11.12.08

L'enfant, la télé et l'hyperactivité

Dans une tribune au Monde, Eric Favey et Bernard Stiegler font la publicité de leur croisade contre la télévision pour les enfants. Leur papier s’ouvre ainsi : «Au mois de mai 2007, Frederic Zimmerman et Dimitri Christakis ont publié dans la revue américaine Pediatrics un article établissant, sur la base d'une enquête concernant 3 300 familles américaines, que l'exposition prématurée des enfants aux médias audiovisuels provoquait des désordres graves, favorisant en particulier l'apparition de symptômes que la nosologie américaine décrit comme caractéristiques d'une pathologie appelée attention deficit disorder (trouble déficitaire de l'attention/hyperactivité) confirmant ainsi une hypothèse que ces auteurs avaient soutenue en 2004 dans la même revue, selon laquelle la consommation audiovisuelle précoce engendrerait une modification de la synaptogénèse, et affecterait ainsi la formation du cerveau infantile et de son appareil psychique.»

Quelques précisions tout de même là-dessus. Le travail initial de 2004 cité par les auteurs (Christakis et al. 2004) a été contesté deux ans plus tard par d’autres chercheurs (Stevens et Mulsow 2006) n’ayant pas retrouvé d’association significative (taille d’effet quasi-nulle). Une autre recherche a retrouvé cette association entre le trouble d’hyperactivité avec décifit de l’attention (ADHD) et l’exposition précoce à la télévision, mais elle conclut pour sa part qu’il est impossible de dire «si les niveaux élevés d’exposition à la télévision sont une cause ou une conséquence des symptômes d’ADHD» (Miller et al. 2007). Dans leur travail plus récent de 2007, Zimmerman et Christakis ont analysé différents types de contenu regardé par les enfants à 1 et 3 ans (enfants contrôlés ensuite à 7 et 8 ans pour l’ADHD). Ils en concluent que les émissions à contenus éducatifs ne sont pas associées au trouble psychologique, alors que les divertissements (violents ou non violents le sont). A partir de 4 ans, on ne trouve plus de lien entre les heures passées devant la télé et l’ADHD (Zimmerman et Christakis 2007).

Le lien est donc au minimum un peu plus complexe que ne le laissent entendre Favey et Stiegler. Le débat scientifique et médical ne semble pas réellement tranché sur le sens exact de la corrélation, ni sur sa robustesse (il faudrait par ailleurs discuter de la nosologie de l’hyperactivité avec déficit de l’attention, sa validité étant elle-même débattue vu les effets de mode en psychiatrie).

Le principal problème à mes yeux est qu’un enfant d’un ou trois ans n’allume généralement pas la télévision tout seul. C’est-à-dire que ce sont ses parents qui le placent devant le poste, ou bien qui lui laissent le téléviseur accessible. Si l’enfant est invité ou laissé libre de passer des heures à regarder chaque jour la télé avant trois ans, je pense que ses parents ont une certaine probabilité d’avoir eux-mêmes quelques problèmes psychologiques. Je pourrais faire l'hypothèse qu’ils ont une capacité cognitive peut-être inférieure à la moyenne, mais on me comprendra mieux si je l’exprime plus directement : seuls des abrutis finis achèvent d’abrutir devant une télé leurs gosses déjà mal partis dans la vie…

(Le reste de l'article consiste à dire in fine que les pouvoirs publics doivent contrôler les médias ou leur usage, car ces médias occupent une place centrale dans l'imaginaire contemporain et menacent le socle éducatif de la démocratie moderne. J'ai évidemment de gros doutes sur cette manière de poser les problématiques. Sur ma critique des travaux de Stiegler, voir aussi ici : Désir, esprit, capital)

4 commentaires:

Unknown a dit…

Voilà typiquement le genre de résultats qui me semblent suspects, du coup je suis allé voir l'article complet de Christakis et al. (2004) :
Les résultats de leur régression logistique montrent effectivement un lien entre le temps passé devant la télé et les troubles attentionnels (coefficient de 1.09) mais ils montrent aussi et surtout un lien beaucoup plus important entre le temps passé devant la télé et l'estime de soi de la mère (coefficient de 1.36).
Mais évidemment ils se gardent bien d'en parler...
Un jour peut-être on verra des articles où les auteurs ne cherchent pas à tout prix à confirmer leurs hypothèses...

Anonyme a dit…

« Les pouvoirs publics doivent contrôler les médias ou leur usage, car ces médias occupent une place centrale dans l'imaginaire contemporain et menacent le socle éducatif de la démocratie moderne. »

Parler de menace, c’est peut-être un peu carré, mais il y a de ça. En trente sept ans de carrière, j’ai pu voir croître la proportion d’élèves inattentifs, incapables de se tenir durablement à un travail : la zappette a zappé cette capacité.

Le reproche que comme ex-enseignant je ferais à l’abus de télé chez l’enfant touche aux atteintes à son imaginaire, précisément :

Il n’a plus d’images propres, car bombardé* par cent et mille images toutes faites (à la différences des images imprimées, qu’il reçoit à son rythme, ou du texte imprimé, où il élabore lui-même et lentement ses propres images). Mon exemple ne va pas valoir preuve mais pendant des années j’ai proposé à mes élèves de 6° le jeu poétique dit du ba-be-bi-bo-bu (créer de courts poèmes comme celui-ci, de l’un d’eux : « Lac, c’est un mot Lent qui coule sur mon Lit comme L’eau Lumineuse ». Je me suis fait, au fil des années, une véritable anthologie. Eh bien, les deux dernières années, rien qui vaille ou presque… Et ne parlons pas des rédactions à sujet libre, qui font peur à la majorité d’entre eux.

C’est un média de l’immédiat, qui freine la réflexion, la mise en perspective, l’établissement de nuances.

Pour constater les dégâts, il suffit de surfer sur des skyblogs d’ados. J’en ai fait des dizaines, j’en suis ressorti accablé de voir que nos enfants sont devenus.

PS Sur le culte de l’hyperactivité, bien savoir que le lobby de la Ritaline est puissant. Quant au « contrôle des médias », si on voit ce que Sarko fabrique avec eux…

* Je suis allé voir Madagascar2. La moitié du temps, les images défilaient à une telle vitesse que… oppss, je perdais le fil.

Anonyme a dit…

"seuls des abrutis finis achèvent d’abrutir devant une télé leurs gosses déjà mal partis dans la vie…"

Je ne jetterai pas la télé à la tête tous les parents-abrutis.

Voyez les familles monoparentales, celles des "enfants-à-la-clé" pour cause d'horaires de merde.

Et le travail du dimanche va bien arranger tout ça

Jeremydriessen a dit…

Je trouve relativement pertinent d'attirer l'attention sur l'influence de la télévision et autres consoles de jeux sur le comportement des enfants en bas âge. Cependant, en considération de la fragilité du construit de l'hyperactivité, j'aurais usé d'un terme soulevant moins le scepticisme général et aurais parlé de troubles de comportement plutôt que d'hyperactivité.