23.1.10
Un nouveau site : Observatoire des sexualités
Un autre site peut vous intéresser, dans une approche évolutive, cognitive et comportementale : Observatoire des sexualités
29.12.08
Out of Africa : populations mutantes ou masculines ?
Depuis la base HapMap, l’équipe d’Alon Keinan a comparé les génomes d’individus d’origine africaine, européenne et asiatique. Plus précisément, les chercheurs ont analysé les divergences entre les autosomes (chromosomes homologues, c’est-à-dire non sexuels) et les chromosomes X. La première analyse concernait plus de 1,5 milliard de paires de bases, la seconde environ 80 millions. Le raisonnement des chercheurs est le suivant : dans une population avec un nombre égal d’hommes et de femmes, on compte 3 copies du X pour 4 de n’importe quel autre chromosome ; cela signifie qu’il doit exister, dans cette population modèle et sur la longue durée, un ratio de ¾ entre les changements observés de fréquence allélique sur le X et les autosomes. Or, la comparaison des généticiens montre que ce n’est pas le cas : si le ratio de ¾ est respecté au sein des populations africaines, il ne l’est plus quand on les rapporte aux populations eurasiennes. Deux possibilités sont envisagées pour expliquer ce phénomène : l’une est une sélection positive de mutations sur le X caractérisant les populations d’Homo sapiens ayant migré hors d’Afrique (par exemple, une meilleure adaptation aux environnements rencontrés lors des migrations) ; l’autre est une sur-représentation des mâles dans cette même population. La seconde hypothèse est conforme aux observations anthropologiques sur les chasseurs-cueilleurs ou les populations historiques depuis le néolithique : les migrations à faible distance sont dominées par les femmes, celles à longue distance par les hommes.
Référence :
Keinan A. et al. (2008), Accelerated genetic drift on chromosome X during the human dispersal out of Africa, Nature Genetics, online pub., doi : 10.1038/ng.303
Référence :
Keinan A. et al. (2008), Accelerated genetic drift on chromosome X during the human dispersal out of Africa, Nature Genetics, online pub., doi : 10.1038/ng.303
28.12.08
Echec et mâle
L’équipe de Merim Bilalić se demande pourquoi on trouve si peu de femmes parmi les meilleurs joueurs d’échecs – une question qui en rappelle une autre, récurrente, sur la faible représentation féminine dans certaines disciplines scientifiques. En analysant les données de clubs d’échecs allemands, les auteurs montrent que la domination masculine peut s’expliquer à 96% par de simples statistiques : les hommes étant 16 fois plus nombreux à jouer aux échecs que les femmes, il est prévisible que l’extrémité de la distribution gaussienne des talents à ce jeu contienne bien plus d’hommes que de femmes. C’est-à-dire: si l’on prend un groupe de 100 femmes et 1600 hommes classés selon leurs résultats aux tournois, le dernier percentile des joueurs les plus brillants sera presqu’entièrement formé d’hommes (et cela sans besoin de faire référence à un avantage biologique ou culturel : ce serait la présence d’une forte proportion de femmes dans les meilleurs qui serait une anomalie statistique demandant une explication). Mais ce genre observation ne fait évidemment que repousser le problème: pourquoi trouve-t-on 16 fois de garçons que de filles dans la base démographique du jeu d’échecs?
Référence :
Bilalić M. et al. (2008), Why are (the best) women so good at chess? Participation rates and gender differences in intellectual domains, Proc. Roy. Soc. B, online pub., doi : 10.1098/rspb.2008.1576.
Référence :
Bilalić M. et al. (2008), Why are (the best) women so good at chess? Participation rates and gender differences in intellectual domains, Proc. Roy. Soc. B, online pub., doi : 10.1098/rspb.2008.1576.
On ira toutes au paradigme
Dans Libération, Belinda Cannone écrit à propos de Simone de Beauvoir et de la parution du Deuxième Sexe (1949) : «Il y a deux façons de faire progresser le savoir. L’une est cumulative : elle agit par enrichissements des données qui permettent de nouvelles synthèses. L’autre procède par changements de paradigme - par bonds intellectuels. Affirmer ‘On ne naît pas femme, on le devient’ relève de ce deuxième mode. Une fois le paradigme déplacé, quelque chose est définitivement modifié dans la pensée. Mais il faut ensuite que ce nouveau savoir se transmette aux comportements et aux mœurs.»
Mais que se passe-t-il quand le paradigme est contredit par l’accumulation des données ? Soit on continue de le répéter, sortant du domaine du savoir (si l’on y est jamais entré) pour entrer dans le domaine du dogme. Soit on abandonne ou révise son paradigme, pour entrer dans une pensée légèrement plus complexe, d’où il ressort par exemple que le sexe n’a pas attendu Simone pour émerger dans l’évolution, que le genre résulte de déterminants biologiques autant que sociaux, que les trajectoires individuelles sont irréductibles aux généralisations sur l’espèce (ou la demi-espèce mâle ou femelle) y compris du point de vue de la biologie, etc. Mais quand on prononce le mot «biologie», la plupart des femmes savantes sortent un bazooka de leur utérus. Alors je renonce à discuter plus avant les Cannoneries.
Mais que se passe-t-il quand le paradigme est contredit par l’accumulation des données ? Soit on continue de le répéter, sortant du domaine du savoir (si l’on y est jamais entré) pour entrer dans le domaine du dogme. Soit on abandonne ou révise son paradigme, pour entrer dans une pensée légèrement plus complexe, d’où il ressort par exemple que le sexe n’a pas attendu Simone pour émerger dans l’évolution, que le genre résulte de déterminants biologiques autant que sociaux, que les trajectoires individuelles sont irréductibles aux généralisations sur l’espèce (ou la demi-espèce mâle ou femelle) y compris du point de vue de la biologie, etc. Mais quand on prononce le mot «biologie», la plupart des femmes savantes sortent un bazooka de leur utérus. Alors je renonce à discuter plus avant les Cannoneries.
Les erreurs de l'evo-psy
Dans le Scientific American, David J. Buller pointe quatre erreurs de la psychologie évolutionnaire – discipline cherchant à comprendre l’évolution de l’esprit en termes darwiniens de sélection et adaptation. Buller vise ce qu’il appelle l’«evo-psy pop», un courant scientifique recourant volontiers à la vulgarisation, dont les représentants les plus connus sont David Buss, Steven Pinker, John Tooby, Leda Cosmides ou encore Donald Symons.
Les quatre erreurs sont selon Buller :
- l’analyse des problèmes adaptatifs du Pléistocène pourrait éclairer la formation de l’esprit des humains actuels ;
- nous pouvons découvrir quels traits précis de l’esprit humain ont évolué ;
- nos crânes modernes abritent un esprit de l’âge de pierre ;
- les données expérimentales fournissent des preuves claires des assertions de l’evo-psy.
Toute personne familière des travaux concernés reconnaîtra sans difficulté qu’ils présentent souvent des dimensions spéculatives, notamment pour certaines raisons pointées par Buller. Par exemple, il est impossible de reconstruire dans le détail le mode de vie, les relations sociales et sexuelles des diverses espèces pré-humaines, depuis la séparation d’avec l’ancêtre commun de l’homme et des chimpanzés (voici environ 5-8 millions d’années). Conséquemment, on peut assigner des pressions sélectives différentes pour expliquer l’émergence d’un même trait, sans aucune possibilité réelle d’infirmer ou confirmer l’hypothèse, à tout le moins de lui assigner un poids relatif par rapport à d’autres dans l’évolution humaine.
Cela dit, les critiques de Buller me laissent assez dubitatifs. Pour que l’évo-psy soit «fondamentalement biaisée», comme il l’écrit, il faudrait que son hypothèse de départ soit fausse, à savoir qu’au cours des 6 millions d’années écoulées, le cerveau humain n’ait pas du tout évolué selon un schéma adaptatif (donc que les porteurs de certaines mutations génétiques s’exprimant dans le cerveau n’aient jamais eu un quelconque avantage de survie et de reproduction sur d’autres, avantage pouvant concerner des individus au sein d’un groupe ou un groupe parmi d’autres). Si l’on évacue ainsi l’adaptativité, la seule autre option est le hasard : une série de mutations aléatoires aurait produit une croissance du volume cérébral chez certains primates, par étapes progressives, au point d’arriver à un organe (le nôtre) consommant 20 % de notre énergie pour 2 % de notre poids, provoquant une forte mortalité chez les parturientes, produisant un enfant dépendant de ses géniteurs sur une longue période. Le tout sans avantage sélectif particulier. Outre que cette hypothèse est improductive (si c’est le hasard, il n’y a rien à en dire), elle est évidemment peu convaincante vu le grand nombre de gènes s’exprimant dans le système nerveux et la très faible probabilité qu’aucune de leur mutation n’ait procuré de bénéfice malgré un coût évident (forte dépense énergétique, forte mortalité des mères, faible autonomie des enfants).
Le principal problème de l’evo-psy serait plutôt à mon sens de mettre la charrue avant les bœufs. En l’occurrence, de mettre la compréhension générale de l’adaptation de l'esprit avant la connaissance précise de la fonction et la structure du cerveau : les neurosciences sont bien loin d’avoir craqué le code neural, d’avoir fourni une description satisfaisante des divers niveaux d’intégration menant de l’interaction gène-environnement à la cognition et au comportement, d’avoir décrit la diversité psychobiologique des populations humaines actuelles, d’avoir identifié avec précision l’ensemble des gènes ayant divergé de nos cousins primates et ayant connu une sélection positive récente, etc. Mais ce temps viendra.
Les quatre erreurs sont selon Buller :
- l’analyse des problèmes adaptatifs du Pléistocène pourrait éclairer la formation de l’esprit des humains actuels ;
- nous pouvons découvrir quels traits précis de l’esprit humain ont évolué ;
- nos crânes modernes abritent un esprit de l’âge de pierre ;
- les données expérimentales fournissent des preuves claires des assertions de l’evo-psy.
Toute personne familière des travaux concernés reconnaîtra sans difficulté qu’ils présentent souvent des dimensions spéculatives, notamment pour certaines raisons pointées par Buller. Par exemple, il est impossible de reconstruire dans le détail le mode de vie, les relations sociales et sexuelles des diverses espèces pré-humaines, depuis la séparation d’avec l’ancêtre commun de l’homme et des chimpanzés (voici environ 5-8 millions d’années). Conséquemment, on peut assigner des pressions sélectives différentes pour expliquer l’émergence d’un même trait, sans aucune possibilité réelle d’infirmer ou confirmer l’hypothèse, à tout le moins de lui assigner un poids relatif par rapport à d’autres dans l’évolution humaine.
Cela dit, les critiques de Buller me laissent assez dubitatifs. Pour que l’évo-psy soit «fondamentalement biaisée», comme il l’écrit, il faudrait que son hypothèse de départ soit fausse, à savoir qu’au cours des 6 millions d’années écoulées, le cerveau humain n’ait pas du tout évolué selon un schéma adaptatif (donc que les porteurs de certaines mutations génétiques s’exprimant dans le cerveau n’aient jamais eu un quelconque avantage de survie et de reproduction sur d’autres, avantage pouvant concerner des individus au sein d’un groupe ou un groupe parmi d’autres). Si l’on évacue ainsi l’adaptativité, la seule autre option est le hasard : une série de mutations aléatoires aurait produit une croissance du volume cérébral chez certains primates, par étapes progressives, au point d’arriver à un organe (le nôtre) consommant 20 % de notre énergie pour 2 % de notre poids, provoquant une forte mortalité chez les parturientes, produisant un enfant dépendant de ses géniteurs sur une longue période. Le tout sans avantage sélectif particulier. Outre que cette hypothèse est improductive (si c’est le hasard, il n’y a rien à en dire), elle est évidemment peu convaincante vu le grand nombre de gènes s’exprimant dans le système nerveux et la très faible probabilité qu’aucune de leur mutation n’ait procuré de bénéfice malgré un coût évident (forte dépense énergétique, forte mortalité des mères, faible autonomie des enfants).
Le principal problème de l’evo-psy serait plutôt à mon sens de mettre la charrue avant les bœufs. En l’occurrence, de mettre la compréhension générale de l’adaptation de l'esprit avant la connaissance précise de la fonction et la structure du cerveau : les neurosciences sont bien loin d’avoir craqué le code neural, d’avoir fourni une description satisfaisante des divers niveaux d’intégration menant de l’interaction gène-environnement à la cognition et au comportement, d’avoir décrit la diversité psychobiologique des populations humaines actuelles, d’avoir identifié avec précision l’ensemble des gènes ayant divergé de nos cousins primates et ayant connu une sélection positive récente, etc. Mais ce temps viendra.
23.12.08
GPA : les haptodivagations de la fille Dolto
Il a fallu supporter les approximations de la mère pendant des décennies, voilà que la fille prend la relève… Catherine Dolto exprime dans Le Figaro toute l’horreur que lui inspirent les mères porteuses (GPA : gestation pour autrui). Le journal titre carrément «l'humanité de l'enfant en péril». Je croyais au début qu’un savant fou avait conçu de faire porter un bonobo ou un macaque à une femelle humaine. Mais non, c’est un simple effet de la surenchère verbale en ce domaine, devenue le lot commun de la média-moralisation à base émotive. Mais ce titre, nous allons le voir, reprend assez fidèlement les divagations de madame Dolto fille. Laquelle, signalons-le au passage, est «haptopsychothérapeute» de profession. Ce qui est déjà à soi seul un objet de méditation.
Alors que toute naissance est supposée être une joie, Catherine commence par un tableau cataclysmique. Sortez vos mouchoirs : «Peu de voix se soucient de la charge de souffrances qui accompagneront inévitablement de tels dispositifs. Celle de la mère qui abandonne, celle de ses autres enfants (la future loi imposerait qu'elle en ait), celle de son compagnon et celle de l'enfant à naître, si poreux, dès la vie prénatale, aux affects de ceux qui l'entourent». De l’embryon à la grand-mère en passant par les voisins et le chien, on souffre donc de 7 jours à 77 ans dès lors qu’une femme porte l’enfant d’une autre.
Et sur cette base lacrymale ayant déjà noyé nos meilleures défenses, elle enchaîne sans transition aucune par une question métaphysique : «Comment préserver le sentiment de sa dignité quand on est le résultat d'une transaction, d'un contrat, d'une livraison ?» Non seulement la gestation pour autrui fait pleurer les chaumières, mais elle produit un pauvre petit être écrasé par l’indignité fondamentale dont sa conception est entachée. Sans doute un client potentiel pour une haptopsychothérapie…
Mais attention : «Ce qui est en cause, c'est le statut de l'enfant comme sujet. En le traitant en objet convoité, auquel chacun a droit s'il peut payer, en lui proposant comme premier lien affectif, fondateur, un marché de dupes entre ses parents et une femme qui accepte d'être ainsi utilisée un temps pour disparaître ensuite, c'est l'humanité même de l'enfant que l'on met en péril». Donc, on doit comprendre que le statut de sujet se déciderait pendant la gestation d’un individu au lieu de se construire au cours de son développement. C’est assez terrifiant, comme perspective, mais plus encore étonnant puisque le fœtus ou le bébé n’a pas tellement les bases neurales fonctionnelles nécessaires à ce processus de subjectivation. On notera que le discours est exactement celui de l’Église catholique dans ses attendus (l’œuf fécondé a déjà la dignité d’une personne, seul l’amour dans un couple peut présider à une naissance depuis le corps de la femme) sauf qu’au lieu d’être justifié par le dogme, il procède ici d’une dégoulinade de bons sentiments et d’une tartinade de moraline n’éprouvant apparemment pas le besoin de s’argumenter rationnellement.
Poursuivons : «La situation de l'enfant né d'une mère porteuse n'est pas comparable avec celle de celui qui est abandonné puis adopté. Ce dernier est conçu naturellement, même si c'est dans les conditions difficiles, sans projet d'abandon. Ce qui constitue une rupture éthique dont nous devons mesurer la gravité, c'est le nouage, au même instant, d'une procréation manipulée par la technique médicale et d'un abandon programmé. C'est dans l'intention que se joue l'essentiel. Cela se pratique déjà tous les jours chez les éleveurs qui veulent obtenir des animaux de qualité.» Vous aurez noté que le problème semble ici l’intention de la mère porteuse – la fameuse tarte à la crème de l’instrumentalisation du vivant. Mais plus loin :
«Vers 1975, le nouveau-né était encore souvent considéré comme un tube digestif vaguement sophistiqué, sans émotions ni sentiments. Chercheurs et cliniciens du monde entier ont prouvé depuis combien cette vision erronée est pathogène. Ils ont validé les certitudes que certains psychanalystes avaient avancées dès 1939, disant que l'éducation commence bien avant la naissance. En effet, la vie affective du petit humain est intense dès son plus jeune âge. On sait maintenant qu'il n'y a non pas une, mais des mémoires. Ces mémoires multiples, inscrites dans la chair, influencent notre manière d'orienter nos vies. Tout être humain est en partie modelé par son histoire et celle de ses parents. Ses émotions pendant sa gestation laissent des traces profondes qui se manifesteront en terme de santé physique et psychoaffective au cours de sa vie. (…) Dès sa vie prénatale, l'enfant est curieux du monde qui les entoure, lui et sa mère. Bien avant d'avoir une audition, il perçoit les vibrations des sons. Très vite, il discrimine les voix. Ces traces mnésiques vocales perdurent étonnamment longtemps. (…) La façon dont la grossesse est survenue, dont elle a été acceptée, dont elle s'est déroulée, les circonstances de la venue au monde de chaque enfant, les sentiments de peur, d'angoisse, de joie, les sentiments de culpabilité qui entourent ces périodes, tout cela colore fortement le lien qui se tisse entre l'enfant et sa famille. Dans les heures qui suivent son arrivée dans le monde aérien, il est essentiel que le nouveau-né puisse se dire : ‘C'est bien eux, donc c'est bien moi.’»
Donc, après avoir incriminé l’intention de la mère porteuse et des parents (coupable et comparable à celle d’un éleveur de bétail), voilà maintenant que le problème réside dans les liens affectifs entre le fœtus et la mère. Le registre n’a évidemment rien à voir, le premier est un jugement de valeur, le second un jugement de fait. Quant à ces fameux liens affectifs, ils sont assez curieux sous la plume de Catherine Hapto, pardon Dolto. D’abord, elle simplifie et caricature des questions assez complexes et ouvertes en science, relatives à la biologie du développement, aux échanges placentaires, à l’empreinte maternelle et l’épigénétique, à la maturation neurale et la synaptogenèse, à l’effet de réponses immunes et inflammatoires sur le fœtus, etc. Tous ces sujets – très passionnants mais relativement spéculatifs et où les données expérimentales sont encore rares – deviennent un gloubi-boulga aussi imprécis que généreux. D’où il ressort que le fœtus entrerait en fusion émotive avec sa mère et développerait une mémoire postnatale de cette fusion, au point que toute séparation ultérieure deviendrait un traumatisme définitif. À ce compte-là, les nombreux enfants abandonnés ou orphelins seraient tous de grands malades de la vie.
L’article s’achève sur un bouquet final où l’enfonçage de portes ouvertes le dispute au recyclage d’idées anciennes : «L'humain est un mammifère singulier, d'une espèce nidicole, dont les petits ne peuvent se développer sans un entourage protecteur pendant les premières années. Nous dépendons des autres, mais d'une manière différente des animaux qui vivent en groupe. Avoir inventé le néocortex fait de nous des mammifères dotés de parole et de mémoire. L'imaginaire, le symbolique, la parole, nous rendent assoiffés d'amour, de sécurité, de besoin d'espérer. Il existe un lien étroit et actif entre la manière dont une société encadre la gestation et la petite enfance et l'évolution que les enfants ainsi traités feront subir à leur cadre social. La question qui se pose implicitement à toutes les cultures est la suivante : comment tirer le petit mammifère humain vers son humanité plutôt que l'abandonner à ses pulsions de consommateur, y compris dans son rapport à autrui ? Cette question en entraîne une autre : comment canaliser la violence pour permettre la vie en groupe ?». Tout cela n’a absolument plus rien à voir avec les mères porteuses, sauf si elles sont implicitement accusées d’accoucher de consommateurs à pulsions violentes – mais alors, pas mal d’humains doivent être nés en gestation pour autrui, il suffit de regarder autour de soi...
Sur le même sujet :
Les jumelles, nées en zone de non-droit, troublent l'ordre public
Mères porteuses : la secte psychanalytique s’invite au bal
Qui a peur des mères porteuses ?
Alors que toute naissance est supposée être une joie, Catherine commence par un tableau cataclysmique. Sortez vos mouchoirs : «Peu de voix se soucient de la charge de souffrances qui accompagneront inévitablement de tels dispositifs. Celle de la mère qui abandonne, celle de ses autres enfants (la future loi imposerait qu'elle en ait), celle de son compagnon et celle de l'enfant à naître, si poreux, dès la vie prénatale, aux affects de ceux qui l'entourent». De l’embryon à la grand-mère en passant par les voisins et le chien, on souffre donc de 7 jours à 77 ans dès lors qu’une femme porte l’enfant d’une autre.
Et sur cette base lacrymale ayant déjà noyé nos meilleures défenses, elle enchaîne sans transition aucune par une question métaphysique : «Comment préserver le sentiment de sa dignité quand on est le résultat d'une transaction, d'un contrat, d'une livraison ?» Non seulement la gestation pour autrui fait pleurer les chaumières, mais elle produit un pauvre petit être écrasé par l’indignité fondamentale dont sa conception est entachée. Sans doute un client potentiel pour une haptopsychothérapie…
Mais attention : «Ce qui est en cause, c'est le statut de l'enfant comme sujet. En le traitant en objet convoité, auquel chacun a droit s'il peut payer, en lui proposant comme premier lien affectif, fondateur, un marché de dupes entre ses parents et une femme qui accepte d'être ainsi utilisée un temps pour disparaître ensuite, c'est l'humanité même de l'enfant que l'on met en péril». Donc, on doit comprendre que le statut de sujet se déciderait pendant la gestation d’un individu au lieu de se construire au cours de son développement. C’est assez terrifiant, comme perspective, mais plus encore étonnant puisque le fœtus ou le bébé n’a pas tellement les bases neurales fonctionnelles nécessaires à ce processus de subjectivation. On notera que le discours est exactement celui de l’Église catholique dans ses attendus (l’œuf fécondé a déjà la dignité d’une personne, seul l’amour dans un couple peut présider à une naissance depuis le corps de la femme) sauf qu’au lieu d’être justifié par le dogme, il procède ici d’une dégoulinade de bons sentiments et d’une tartinade de moraline n’éprouvant apparemment pas le besoin de s’argumenter rationnellement.
Poursuivons : «La situation de l'enfant né d'une mère porteuse n'est pas comparable avec celle de celui qui est abandonné puis adopté. Ce dernier est conçu naturellement, même si c'est dans les conditions difficiles, sans projet d'abandon. Ce qui constitue une rupture éthique dont nous devons mesurer la gravité, c'est le nouage, au même instant, d'une procréation manipulée par la technique médicale et d'un abandon programmé. C'est dans l'intention que se joue l'essentiel. Cela se pratique déjà tous les jours chez les éleveurs qui veulent obtenir des animaux de qualité.» Vous aurez noté que le problème semble ici l’intention de la mère porteuse – la fameuse tarte à la crème de l’instrumentalisation du vivant. Mais plus loin :
«Vers 1975, le nouveau-né était encore souvent considéré comme un tube digestif vaguement sophistiqué, sans émotions ni sentiments. Chercheurs et cliniciens du monde entier ont prouvé depuis combien cette vision erronée est pathogène. Ils ont validé les certitudes que certains psychanalystes avaient avancées dès 1939, disant que l'éducation commence bien avant la naissance. En effet, la vie affective du petit humain est intense dès son plus jeune âge. On sait maintenant qu'il n'y a non pas une, mais des mémoires. Ces mémoires multiples, inscrites dans la chair, influencent notre manière d'orienter nos vies. Tout être humain est en partie modelé par son histoire et celle de ses parents. Ses émotions pendant sa gestation laissent des traces profondes qui se manifesteront en terme de santé physique et psychoaffective au cours de sa vie. (…) Dès sa vie prénatale, l'enfant est curieux du monde qui les entoure, lui et sa mère. Bien avant d'avoir une audition, il perçoit les vibrations des sons. Très vite, il discrimine les voix. Ces traces mnésiques vocales perdurent étonnamment longtemps. (…) La façon dont la grossesse est survenue, dont elle a été acceptée, dont elle s'est déroulée, les circonstances de la venue au monde de chaque enfant, les sentiments de peur, d'angoisse, de joie, les sentiments de culpabilité qui entourent ces périodes, tout cela colore fortement le lien qui se tisse entre l'enfant et sa famille. Dans les heures qui suivent son arrivée dans le monde aérien, il est essentiel que le nouveau-né puisse se dire : ‘C'est bien eux, donc c'est bien moi.’»
Donc, après avoir incriminé l’intention de la mère porteuse et des parents (coupable et comparable à celle d’un éleveur de bétail), voilà maintenant que le problème réside dans les liens affectifs entre le fœtus et la mère. Le registre n’a évidemment rien à voir, le premier est un jugement de valeur, le second un jugement de fait. Quant à ces fameux liens affectifs, ils sont assez curieux sous la plume de Catherine Hapto, pardon Dolto. D’abord, elle simplifie et caricature des questions assez complexes et ouvertes en science, relatives à la biologie du développement, aux échanges placentaires, à l’empreinte maternelle et l’épigénétique, à la maturation neurale et la synaptogenèse, à l’effet de réponses immunes et inflammatoires sur le fœtus, etc. Tous ces sujets – très passionnants mais relativement spéculatifs et où les données expérimentales sont encore rares – deviennent un gloubi-boulga aussi imprécis que généreux. D’où il ressort que le fœtus entrerait en fusion émotive avec sa mère et développerait une mémoire postnatale de cette fusion, au point que toute séparation ultérieure deviendrait un traumatisme définitif. À ce compte-là, les nombreux enfants abandonnés ou orphelins seraient tous de grands malades de la vie.
L’article s’achève sur un bouquet final où l’enfonçage de portes ouvertes le dispute au recyclage d’idées anciennes : «L'humain est un mammifère singulier, d'une espèce nidicole, dont les petits ne peuvent se développer sans un entourage protecteur pendant les premières années. Nous dépendons des autres, mais d'une manière différente des animaux qui vivent en groupe. Avoir inventé le néocortex fait de nous des mammifères dotés de parole et de mémoire. L'imaginaire, le symbolique, la parole, nous rendent assoiffés d'amour, de sécurité, de besoin d'espérer. Il existe un lien étroit et actif entre la manière dont une société encadre la gestation et la petite enfance et l'évolution que les enfants ainsi traités feront subir à leur cadre social. La question qui se pose implicitement à toutes les cultures est la suivante : comment tirer le petit mammifère humain vers son humanité plutôt que l'abandonner à ses pulsions de consommateur, y compris dans son rapport à autrui ? Cette question en entraîne une autre : comment canaliser la violence pour permettre la vie en groupe ?». Tout cela n’a absolument plus rien à voir avec les mères porteuses, sauf si elles sont implicitement accusées d’accoucher de consommateurs à pulsions violentes – mais alors, pas mal d’humains doivent être nés en gestation pour autrui, il suffit de regarder autour de soi...
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Les jumelles, nées en zone de non-droit, troublent l'ordre public
Mères porteuses : la secte psychanalytique s’invite au bal
Qui a peur des mères porteuses ?
18.12.08
Les jumelles, nées en zone de non-droit, troublent l'ordre public
Le lobby conservateur-religieux, qui plaide pour l’attribution d’état-civil aux embryons et foetus expulsés en raison de fausses couches ou malformations, se félicitera probablement quoique contradictoirement de l’arrêt n° 1285 du 17 décembre 2008 de la cour de cassation (première chambre civile).
En 1998, Sylvie M. apprend qu’elle n'a pas d'utérus et ne pourra donc jamais enfanter. Avec son mari Dominique, elle a recours à une mère porteuse américaine, qui porte un embryon conçu à partir des spermatozoïdes du père et d'un don d'ovocyte. Deux jumelles naissent en octobre 2000. Par un jugement antérieur, la Cour suprême de Californie avait conféré à Dominique la qualité de père biologique, et à Sylvie le statut de mère légale de tout enfant devant naître de la mère porteuse. Les certificats de naissance américains ont été établis conformément à cette décision. De retour en France, les époux souhaitent transcrire ces faits sur l’état-civil. Mais l’acte est refusé. L’affaire va en première instance, puis en appel. L’arrêt de la cour d’appel du 25 octobre 2007 ne voit pas d’objection à la transcription d’état-civil, qui lui semble nécessaire pour l’intérêt supérieur de l'enfant. Mais le procureur général ne l’entend pas ainsi et le ministère public se pourvoit en cassation. La cour de cassation vient donc de reconnaître le bien-fondé de cette démarche pour deux motifs : «Vu l'article 423 du code de procédure civile, ensemble l'article 16-7 du code civil ; Attendu qu'aux termes du premier de ces textes, le ministère public peut agir pour la défense de l'ordre public à l'occasion de faits portant atteinte à celui-ci ; que, selon le second, toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle».
Le premier attendu est évidemment cocasse, puisqu’on se demande quel trouble à l’ordre public représente la reconnaissance d’un enfant. On voit en revanche très bien le trouble à l’ordre privé que l’État provoque avec ses manies paperassières. Quant au second attendu, c’est la simple application de l’interdit de gestation pour autrui (mère porteuse) que le lobby conservateur-religieux avait réussi à faire entrer dans les lois liberticides dites de bio-éthique, qui gèrent actuellement les corps des citoyens français.
Tout cela serait risible si deux parents et leurs deux enfants ne faisaient les frais de cette alliance sordide d’une morale particulière et de son bras séculier. La révision des lois de bio-éthique (prévue en 2009 mais repoussée en 2010 aux dernières nouvelles) sera décidément l’occasion de dénoncer l’ensemble de ces interdits et de combattre pour les libertés individuelles, à commencer par la plus immédiate et la plus évidente : la liberté de disposer de son corps comme chacun l’entend.
En 1998, Sylvie M. apprend qu’elle n'a pas d'utérus et ne pourra donc jamais enfanter. Avec son mari Dominique, elle a recours à une mère porteuse américaine, qui porte un embryon conçu à partir des spermatozoïdes du père et d'un don d'ovocyte. Deux jumelles naissent en octobre 2000. Par un jugement antérieur, la Cour suprême de Californie avait conféré à Dominique la qualité de père biologique, et à Sylvie le statut de mère légale de tout enfant devant naître de la mère porteuse. Les certificats de naissance américains ont été établis conformément à cette décision. De retour en France, les époux souhaitent transcrire ces faits sur l’état-civil. Mais l’acte est refusé. L’affaire va en première instance, puis en appel. L’arrêt de la cour d’appel du 25 octobre 2007 ne voit pas d’objection à la transcription d’état-civil, qui lui semble nécessaire pour l’intérêt supérieur de l'enfant. Mais le procureur général ne l’entend pas ainsi et le ministère public se pourvoit en cassation. La cour de cassation vient donc de reconnaître le bien-fondé de cette démarche pour deux motifs : «Vu l'article 423 du code de procédure civile, ensemble l'article 16-7 du code civil ; Attendu qu'aux termes du premier de ces textes, le ministère public peut agir pour la défense de l'ordre public à l'occasion de faits portant atteinte à celui-ci ; que, selon le second, toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle».
Le premier attendu est évidemment cocasse, puisqu’on se demande quel trouble à l’ordre public représente la reconnaissance d’un enfant. On voit en revanche très bien le trouble à l’ordre privé que l’État provoque avec ses manies paperassières. Quant au second attendu, c’est la simple application de l’interdit de gestation pour autrui (mère porteuse) que le lobby conservateur-religieux avait réussi à faire entrer dans les lois liberticides dites de bio-éthique, qui gèrent actuellement les corps des citoyens français.
Tout cela serait risible si deux parents et leurs deux enfants ne faisaient les frais de cette alliance sordide d’une morale particulière et de son bras séculier. La révision des lois de bio-éthique (prévue en 2009 mais repoussée en 2010 aux dernières nouvelles) sera décidément l’occasion de dénoncer l’ensemble de ces interdits et de combattre pour les libertés individuelles, à commencer par la plus immédiate et la plus évidente : la liberté de disposer de son corps comme chacun l’entend.
Une touche d'émotion
La patiente AW est déprimée et dégoûtée quand elle touche un jean, le velours la rend confuse, la soie provoque son ravissement. Une autre femme, HS, atteint le nirvana quand elle touche du sable, des feuilles ou des balles de tennis. Ces deux personnes sont les premiers cas de synesthésie liée au toucher. Ce trouble étrange, plus longuement évoqué ici, consiste en associations anormales de voies sensitives et perceptives : des mots ont une couleur, des formes ont un son, etc. Décrit par V. S. Ramachandran et David Brang dans un article à paraître dans Neurocase, le cas des patientes AW et HS promet d’ouvrir une nouvelle porte sur les mécanismes neuraux sous-tendant nos qualia. La recherche est commentée dans le New Scientist.
Symptôme d'une inadaptation
On devrait toujours chercher à contredire ses opinions, à falsifier ses certitudes. Mais notre cerveau semble suivre une pente inverse, il tient spontanément pour vraies ses propres pensées. Le phénomène est caricatural chez des personnes butées, fermées au doute et à la critique, arc-boutées sur des croyances ayant le statut de Vérité intouchable. Cependant, il n’épargne pas non plus les esprits réputés libres de philosophie ou de la science, où l’on voit toujours survivre un certain temps les hypothèses et les théories contredites par les observations. D’où l’intérêt d’une extension permanente du débat sous forme de falsifications réciproques des opinions, afin de compenser notre paresse cérébrale à douter, notre confort intellectuel à croire. Hélas, cette lutte perpétuelle pour la survie des idées les plus solides n’est pas agréable du tout pour beaucoup, elle provoque souvent peur ou douleur, désarroi ou colère – et ce désagrément indique que l’évolution n’a pas fait tout son travail sur notre jeune organe pensant, elle qui joint habituellement l’agréable à l’utile.
17.12.08
L'espèce est-elle un concept policier ?
Dans un échange assez consternant, publié dans Le Figaro, entre Pierre d'Ornellas (groupe de travail de la Conférence des évêques sur la révision des lois de bioéthique) et Alain Grimfeld (professeur de médecine, président du Comité consultatif national d'éthique), ce dernier conclut : «Il existe une tentation forte pour certains à vouloir créer un ‘transhumanisme’. Nous sommes arrivés à un stade de technicité tel qu'ils pensent que nous sommes capables de créer un autre homme quittant la branche humaine actuelle pour en créer une autre, de toutes pièces. Cette famille de pensée est nourrie aux États-Unis par des budgets absolument colossaux. Ce qui nous amène à nous définir entre êtres humains. La convergence va s'opérer entre ceux qui diront ‘non, nous tenons à la conservation de l'espèce humaine dans son évolution ontologique, nos principes éthiques fondamentaux nous interdisent de créer un autre homme’. Et ce sera pour des raisons de respect premier de la dignité humaine mais également pour des motivations fondées sur l'exégèse des Écritures. Ce sera un vrai choix. En face il y aura ceux qui diront : ‘ce stade est dépassé, l'intelligence de l'espèce humaine est maintenant telle qu'elle est capable par les progrès technologiques qu'elle engendre, sa sophistication neuronale, de créer une autre espèce, et qu'il est temps de franchir le pas’. Là, il n'y aura pas convergence, mais divergence fondamentale. Aujourd'hui, cette convergence sur la question du maintien de l'espèce humaine existe, notamment avec l'Église catholique mais également avec d'autres familles de pensée ou religieuses.»
En lisant ce genre de présentation fantasmatique et caricaturale du débat, on ne s’étonnera pas que Grimfeld constate dans le reste de l’entretien ses nombreuses convergences avec les positions de l’Eglise catholique exprimées dans Dignitas personae. Personne à ma connaissance n’imagine créer de novo, sur une paillasse de laboratoire, une nouvelle espèce humaine. L’enjeu concret, c’est la possibilité d’utiliser les progrès technoscientifiques pour soi et/ou sa descendance, y compris lorsqu’elles amènent à diverses modifications des constituants du corps humain. Et cet enjeu est double, puisqu’il y a la possibilité éthique (et légale) d’une part, la possibilité pratique (et économique) d’autre part. A côté de cela, on peut mener une réflexion à la fois philosophique et scientifique sur le concept d’espèce humaine, sa réalité, sa portée, son évolution attendue. Je trouve pour ma part assez étonnant que les mêmes individus se montrant généralement horrifiés quand on restreint les libertés d’un individu au nom de son groupe (sa nation, sa race, sa religion, etc.) trouvent toute naturelle cette restriction lorsque le groupe devient l’espèce. J’y vois une simple translation de la même mentalité de base, orientée vers l’éventuel sacrifice de l’individu au groupe et le nécessaire contrôle du premier par le second, la revendication au nom de l’espèce vous donnant la réputation d’un généraux humaniste alors que les autres vous font passer pour un affreux nationaliste, raciste, intégriste, etc. Mais au fond, si l’on commence à prendre l’appartenance à l’espèce comme une catégorie ontologique créant des impératifs pratiques, on aboutit exactement au même genre de processus : certains vont s’autoproclamer les directeurs de conscience de l’espèce, d’autres ses directeurs de police, tous vont entreprendre de dicter à l’individu ce qu’il doit et ne doit pas faire. Sous couvert d’humilité et de bonté, on en arrive à l’incroyable posture : «Voici ce que l’espèce a décidé pour toi».
PS : il serait par ailleurs intéressant que Grimfeld, qui est scientifique et donc attentif à la précision des faits d’observation, nous donne le montant exact des «budgets absolument colossaux» du transhumanisme aux Etats-Unis. Et le compare, à titre d'ordre de grandeur, aux montants des divers groupes de pression religieux dans le même pays.
En lisant ce genre de présentation fantasmatique et caricaturale du débat, on ne s’étonnera pas que Grimfeld constate dans le reste de l’entretien ses nombreuses convergences avec les positions de l’Eglise catholique exprimées dans Dignitas personae. Personne à ma connaissance n’imagine créer de novo, sur une paillasse de laboratoire, une nouvelle espèce humaine. L’enjeu concret, c’est la possibilité d’utiliser les progrès technoscientifiques pour soi et/ou sa descendance, y compris lorsqu’elles amènent à diverses modifications des constituants du corps humain. Et cet enjeu est double, puisqu’il y a la possibilité éthique (et légale) d’une part, la possibilité pratique (et économique) d’autre part. A côté de cela, on peut mener une réflexion à la fois philosophique et scientifique sur le concept d’espèce humaine, sa réalité, sa portée, son évolution attendue. Je trouve pour ma part assez étonnant que les mêmes individus se montrant généralement horrifiés quand on restreint les libertés d’un individu au nom de son groupe (sa nation, sa race, sa religion, etc.) trouvent toute naturelle cette restriction lorsque le groupe devient l’espèce. J’y vois une simple translation de la même mentalité de base, orientée vers l’éventuel sacrifice de l’individu au groupe et le nécessaire contrôle du premier par le second, la revendication au nom de l’espèce vous donnant la réputation d’un généraux humaniste alors que les autres vous font passer pour un affreux nationaliste, raciste, intégriste, etc. Mais au fond, si l’on commence à prendre l’appartenance à l’espèce comme une catégorie ontologique créant des impératifs pratiques, on aboutit exactement au même genre de processus : certains vont s’autoproclamer les directeurs de conscience de l’espèce, d’autres ses directeurs de police, tous vont entreprendre de dicter à l’individu ce qu’il doit et ne doit pas faire. Sous couvert d’humilité et de bonté, on en arrive à l’incroyable posture : «Voici ce que l’espèce a décidé pour toi».
PS : il serait par ailleurs intéressant que Grimfeld, qui est scientifique et donc attentif à la précision des faits d’observation, nous donne le montant exact des «budgets absolument colossaux» du transhumanisme aux Etats-Unis. Et le compare, à titre d'ordre de grandeur, aux montants des divers groupes de pression religieux dans le même pays.
16.12.08
Missa pro defunctis
Je ne connais pas tellement Guy Birenbaum, lointainement de réputation, mais je suis globalement d’accord avec le diagnostic qu’il dresse dans cet entretien sur l’état de la presse écrite et surtout de la presse «nationale». Un système sous perfusion étatique et actionnariat financier qui se la joue contre-pouvoir, qui vit encore dans l’illusion de son magistère intellectuel et moral hérité de Gutenberg. «Nous sommes vivants et ils sont morts», comme dirait l’autre. Dans le même registre, une intéressante déconstruction de la diabolisation de FaceBook par la télévision désespérant de ses parts de marché sur la niche du cerveau disponible. Cela dit, j'ai supprimé mon compte FB voici quelque temps déjà, n’ayant pas vraiment envie de troquer une usine à veau pour une autre.
Synchronisons le troupeau
Les armées, les églises, les sectes, les entreprises et d’autres hauts-lieux de l’épanouissement des individualités pratiquent souvent des activités collectives synchrones : on marche d’un même pas dans le même défilé, on psalmodie en chœur les mêmes versets, on assiste au même stage de motivation personnelle pour un management participatif ou au même défoulement de sortie au théâtre par business-team. Scott S. Wiltermuth et Chip Heath se sont demandés si le troupeau bénéficiait de cette synchronie de ses membres. Une première expérience invitait 60 individus à marcher tantôt au pas tantôt librement dans un campus. Une deuxième et une troisième faisaient écouter de la musique à 96, puis 105 volontaires, dont certains à l’unisson (avec une gestuelle associée), d’autres non. À chaque fois, les sujets devaient participer par la suite à un jeu économique mesurant leur degré d’altruisme et de sacrifice au groupe. Résultat : les activités synchrones sont bel et bien favorables à la coopération, les individus se montrant plus disposés au sacrifice personnel. L’étude est parue dans Psychological Science, et son draft (pdf, anglais) peut être téléchargé ici.
Neurobésité
Plus de 91.000 personnes ont participé à une analyse génétique des variations de l’indice de masse corporelle, dont les résultats viennent d’être publiés dans Nature Genetics. Sur six nouveaux loci génétiques associés à l’obésité, cinq se trouvent exprimés dans le cerveau plutôt que dans les processus chimiques de métabolisation de l’énergie ou des lipides. Comme le remarque Ines Barroso (Wellcome Trust Sanger Institute), «avant 2007, on ne connaissait aucune association génétique avec l’obésité commune, mais depuis cette date, presque tous ceux qui ont été découverts influencent probablement des fonctions cérébrales». Les études de jumeaux donnent des résultats variables pour l’héritabilité de l’obésité, de 40 à 70 %.
15.12.08
Gènes masculins, sex-ratio et après-guerre
Une étude menée par Corry Gellatly (Université de Newcastle) suggère que le sexe des enfants ne suit pas une répartition aléatoire 50/50. Les femmes possèdent deux chromosomes X, les hommes un X et un Y. C’est donc le chromosome légué par l’homme qui va déterminer le sexe de l’enfant. En analysant 927 arbres généalogiques totalisant 556.387 personnes d’origine européenne ou nord-américaine et remontant jusqu’au début du XVIIe siècle, les chercheurs ont observé que les hommes ayant plus de frères ont une probabilité un peu plus forte d’avoir des fils. Inversement, les hommes ayant plus de sœurs augmentent leurs chances d’avoir des filles. Aucune distorsion n’est observée selon la fratrie des femmes. Le modèle expliquant le mieux cette observation est l’existence d’un gène autosome masculin avec différents allèles dont certains font pencher la balance en faveur des spermatozoïdes porteurs de Y.
Cette étude suggère une explication pour un phénomène observé de longue date : la surnatalité masculine après les guerres. La nature semble ainsi bien faite, si l’on peut dire, puisque les conflits régionaux ou mondiaux ayant entraîné des morts (généralement masculines) en grand nombre sont suivis par un surcroît de mâles dans le boom démographique d’après-guerre. Mais comment expliquer cet ajustement observable à l’échelle d’une population ? Le travail de Gellatly propose le mécanisme suivant. En supposant que tous les hommes jeunes sont mobilisés sur le front, les parents ayant beaucoup de garçons ont un peu plus de chance d’en voir certains survivre à la guerre que ceux en ayant peu parmi beaucoup de filles. Dans le pool masculin de l’après-guerre, les mâles ayant beaucoup de frères sont donc sur-représentés par rapport aux autres ayant beaucoup de sœurs. S’il existe une prédisposition génétique à engendrer des fils plutôt que des filles dans cette condition de fratrie à dominante masculine, le sex-ratio des naissances va se déséquilibrer en faveur des garçons.
Référence :
Gellatly C. (2008), Trends in population sex ratios may be explained by changes in the frequencies of polymorphic alleles of a sex ratio gene, Evolutionary Biology, oline pub., doi : 10.1007/s11692-008-9046-3.
Cette étude suggère une explication pour un phénomène observé de longue date : la surnatalité masculine après les guerres. La nature semble ainsi bien faite, si l’on peut dire, puisque les conflits régionaux ou mondiaux ayant entraîné des morts (généralement masculines) en grand nombre sont suivis par un surcroît de mâles dans le boom démographique d’après-guerre. Mais comment expliquer cet ajustement observable à l’échelle d’une population ? Le travail de Gellatly propose le mécanisme suivant. En supposant que tous les hommes jeunes sont mobilisés sur le front, les parents ayant beaucoup de garçons ont un peu plus de chance d’en voir certains survivre à la guerre que ceux en ayant peu parmi beaucoup de filles. Dans le pool masculin de l’après-guerre, les mâles ayant beaucoup de frères sont donc sur-représentés par rapport aux autres ayant beaucoup de sœurs. S’il existe une prédisposition génétique à engendrer des fils plutôt que des filles dans cette condition de fratrie à dominante masculine, le sex-ratio des naissances va se déséquilibrer en faveur des garçons.
Référence :
Gellatly C. (2008), Trends in population sex ratios may be explained by changes in the frequencies of polymorphic alleles of a sex ratio gene, Evolutionary Biology, oline pub., doi : 10.1007/s11692-008-9046-3.
13.12.08
Dignitas Personae : Instruction pour la conservation en l'état du parc humain
En 1987, la Congrégation pour la doctrine de la foi publiait l’instruction Donum Vitae sous la houlette du cardinal Ratzinger. Il s’agissait des positions de l’Église catholique dans le domaine biomédical, que nous avions commentées ici. Vingt-un ans plus tard, ce 11 décembre 2008, la même Congrégation en publie une mise à jour intitulée Instruction Dignitas Personae sur certaines questions bio-éthique (on peut en télécharger la version intégrale anglaise sur ce site). Ratzinger, devenu Benoît XVI dans l’intervalle, contresigne le nouveau texte ayant pour auteur principal le préfet-cardinal William Levada.
Que la «dignité humaine» donnant son titre à l’Instruction soit brandie comme principal concept opératoire de l’Église catholique dans le domaine bio-éthique n’étonnera pas mes lecteurs : j’avais déjà signalé ici et ici combien ce concept creux sert d’étendard présentable à la croisade cléricale pour la négation de la liberté des individus dans le domaine de la sexualité, de la procréation et plus généralement des usages de son corps à l’âge de la biomédecine scientifique. De ce point de vue, Dignitas Personae ne fait que reprendre la très longue liste des interdits (actes «moralement illicites») décrétés par les promoteurs du dogme catholique. Le bon catholique devra donc éviter avortement sous toutes ses formes, dons des gamètes, congélation des embryons et des ovocytes, fécondation in vitro, micro-injection de spermatozoïdes, réduction embryonnaire en cas de grossesses multiples, diagnostic prénatal et diagnostic pré-implantaoire (DPN, DPI), clonage thérapeutique, clonage embryonnaire, culture et étude des cellules souches embryonnaires… à peu près toutes les innovations des 30 dernières années sont proscrites au cours des 37 articles de l’Instruction, à l’exception des protocoles thérapeutiques pour restaurer la fertilité d’un parent, du travail sur les cellules souches adultes et des thérapies géniques somatique à visée médicale uniquement.
Avec un certain comique involontaire, l’Instruction remarque dans sa conclusion : «certains diront que l’enseignement moral de l’Église contient de trop nombreux interdits. En réalité, son enseignement est fondé sur la reconnaissance et la promotion de tous les dons que le Créateur a placés en l’homme : comme la vie, la connaissance, la liberté et l’amour». Un éloge de la vie malade, subie, affaiblie, qui oblige les parents à transmettre leur maladie génétique à leurs enfants et l’enfant à accepter ce fardeau. Un éloge de la connaissance esclave de la foi, qui interdit certaines recherches contraires aux dogmes. Un éloge de la liberté surveillée, qui consiste à dresser la plus longue liste d’interdictions de toutes les fois contemporaines. Un éloge de l’amour enfin, probablement celui qui rend aveugle la raison.
Les deux «principes éthiques» sur lesquels s’appuie l’Église catholique sont d’une part la dignité de la personne (et son caractère sacré) dès les premiers instants de la conception ; d’autre part l’origine de toute vie humaine dans le «contexte authentique» du mariage, de la famille et de l’union amoureuse des conjoints pour l’acte de procréation. «Dès les premiers stages de son existence, note l’Instruction, le corps d’un être humain ne peut jamais être réduit à un groupe de cellules. Le corps humain embryonnaire se développe progressivement selon un programme bien défini ayant sa propre finalité, comme cela devient évident à la naissance de chaque bébé». Que bien des embryons donnent en tout et pour tout des fausses couches spontanées dans les premières semaines de grossesse, et d’autres des enfants atteints de pathologies graves, cela appartient sans doute à ce «programme bien défini» formant le socle de la «loi naturelle morale»...
Que la «dignité humaine» donnant son titre à l’Instruction soit brandie comme principal concept opératoire de l’Église catholique dans le domaine bio-éthique n’étonnera pas mes lecteurs : j’avais déjà signalé ici et ici combien ce concept creux sert d’étendard présentable à la croisade cléricale pour la négation de la liberté des individus dans le domaine de la sexualité, de la procréation et plus généralement des usages de son corps à l’âge de la biomédecine scientifique. De ce point de vue, Dignitas Personae ne fait que reprendre la très longue liste des interdits (actes «moralement illicites») décrétés par les promoteurs du dogme catholique. Le bon catholique devra donc éviter avortement sous toutes ses formes, dons des gamètes, congélation des embryons et des ovocytes, fécondation in vitro, micro-injection de spermatozoïdes, réduction embryonnaire en cas de grossesses multiples, diagnostic prénatal et diagnostic pré-implantaoire (DPN, DPI), clonage thérapeutique, clonage embryonnaire, culture et étude des cellules souches embryonnaires… à peu près toutes les innovations des 30 dernières années sont proscrites au cours des 37 articles de l’Instruction, à l’exception des protocoles thérapeutiques pour restaurer la fertilité d’un parent, du travail sur les cellules souches adultes et des thérapies géniques somatique à visée médicale uniquement.
Avec un certain comique involontaire, l’Instruction remarque dans sa conclusion : «certains diront que l’enseignement moral de l’Église contient de trop nombreux interdits. En réalité, son enseignement est fondé sur la reconnaissance et la promotion de tous les dons que le Créateur a placés en l’homme : comme la vie, la connaissance, la liberté et l’amour». Un éloge de la vie malade, subie, affaiblie, qui oblige les parents à transmettre leur maladie génétique à leurs enfants et l’enfant à accepter ce fardeau. Un éloge de la connaissance esclave de la foi, qui interdit certaines recherches contraires aux dogmes. Un éloge de la liberté surveillée, qui consiste à dresser la plus longue liste d’interdictions de toutes les fois contemporaines. Un éloge de l’amour enfin, probablement celui qui rend aveugle la raison.
Les deux «principes éthiques» sur lesquels s’appuie l’Église catholique sont d’une part la dignité de la personne (et son caractère sacré) dès les premiers instants de la conception ; d’autre part l’origine de toute vie humaine dans le «contexte authentique» du mariage, de la famille et de l’union amoureuse des conjoints pour l’acte de procréation. «Dès les premiers stages de son existence, note l’Instruction, le corps d’un être humain ne peut jamais être réduit à un groupe de cellules. Le corps humain embryonnaire se développe progressivement selon un programme bien défini ayant sa propre finalité, comme cela devient évident à la naissance de chaque bébé». Que bien des embryons donnent en tout et pour tout des fausses couches spontanées dans les premières semaines de grossesse, et d’autres des enfants atteints de pathologies graves, cela appartient sans doute à ce «programme bien défini» formant le socle de la «loi naturelle morale»...
11.12.08
L'enfant, la télé et l'hyperactivité
Dans une tribune au Monde, Eric Favey et Bernard Stiegler font la publicité de leur croisade contre la télévision pour les enfants. Leur papier s’ouvre ainsi : «Au mois de mai 2007, Frederic Zimmerman et Dimitri Christakis ont publié dans la revue américaine Pediatrics un article établissant, sur la base d'une enquête concernant 3 300 familles américaines, que l'exposition prématurée des enfants aux médias audiovisuels provoquait des désordres graves, favorisant en particulier l'apparition de symptômes que la nosologie américaine décrit comme caractéristiques d'une pathologie appelée attention deficit disorder (trouble déficitaire de l'attention/hyperactivité) confirmant ainsi une hypothèse que ces auteurs avaient soutenue en 2004 dans la même revue, selon laquelle la consommation audiovisuelle précoce engendrerait une modification de la synaptogénèse, et affecterait ainsi la formation du cerveau infantile et de son appareil psychique.»
Quelques précisions tout de même là-dessus. Le travail initial de 2004 cité par les auteurs (Christakis et al. 2004) a été contesté deux ans plus tard par d’autres chercheurs (Stevens et Mulsow 2006) n’ayant pas retrouvé d’association significative (taille d’effet quasi-nulle). Une autre recherche a retrouvé cette association entre le trouble d’hyperactivité avec décifit de l’attention (ADHD) et l’exposition précoce à la télévision, mais elle conclut pour sa part qu’il est impossible de dire «si les niveaux élevés d’exposition à la télévision sont une cause ou une conséquence des symptômes d’ADHD» (Miller et al. 2007). Dans leur travail plus récent de 2007, Zimmerman et Christakis ont analysé différents types de contenu regardé par les enfants à 1 et 3 ans (enfants contrôlés ensuite à 7 et 8 ans pour l’ADHD). Ils en concluent que les émissions à contenus éducatifs ne sont pas associées au trouble psychologique, alors que les divertissements (violents ou non violents le sont). A partir de 4 ans, on ne trouve plus de lien entre les heures passées devant la télé et l’ADHD (Zimmerman et Christakis 2007).
Le lien est donc au minimum un peu plus complexe que ne le laissent entendre Favey et Stiegler. Le débat scientifique et médical ne semble pas réellement tranché sur le sens exact de la corrélation, ni sur sa robustesse (il faudrait par ailleurs discuter de la nosologie de l’hyperactivité avec déficit de l’attention, sa validité étant elle-même débattue vu les effets de mode en psychiatrie).
Le principal problème à mes yeux est qu’un enfant d’un ou trois ans n’allume généralement pas la télévision tout seul. C’est-à-dire que ce sont ses parents qui le placent devant le poste, ou bien qui lui laissent le téléviseur accessible. Si l’enfant est invité ou laissé libre de passer des heures à regarder chaque jour la télé avant trois ans, je pense que ses parents ont une certaine probabilité d’avoir eux-mêmes quelques problèmes psychologiques. Je pourrais faire l'hypothèse qu’ils ont une capacité cognitive peut-être inférieure à la moyenne, mais on me comprendra mieux si je l’exprime plus directement : seuls des abrutis finis achèvent d’abrutir devant une télé leurs gosses déjà mal partis dans la vie…
(Le reste de l'article consiste à dire in fine que les pouvoirs publics doivent contrôler les médias ou leur usage, car ces médias occupent une place centrale dans l'imaginaire contemporain et menacent le socle éducatif de la démocratie moderne. J'ai évidemment de gros doutes sur cette manière de poser les problématiques. Sur ma critique des travaux de Stiegler, voir aussi ici : Désir, esprit, capital)
Quelques précisions tout de même là-dessus. Le travail initial de 2004 cité par les auteurs (Christakis et al. 2004) a été contesté deux ans plus tard par d’autres chercheurs (Stevens et Mulsow 2006) n’ayant pas retrouvé d’association significative (taille d’effet quasi-nulle). Une autre recherche a retrouvé cette association entre le trouble d’hyperactivité avec décifit de l’attention (ADHD) et l’exposition précoce à la télévision, mais elle conclut pour sa part qu’il est impossible de dire «si les niveaux élevés d’exposition à la télévision sont une cause ou une conséquence des symptômes d’ADHD» (Miller et al. 2007). Dans leur travail plus récent de 2007, Zimmerman et Christakis ont analysé différents types de contenu regardé par les enfants à 1 et 3 ans (enfants contrôlés ensuite à 7 et 8 ans pour l’ADHD). Ils en concluent que les émissions à contenus éducatifs ne sont pas associées au trouble psychologique, alors que les divertissements (violents ou non violents le sont). A partir de 4 ans, on ne trouve plus de lien entre les heures passées devant la télé et l’ADHD (Zimmerman et Christakis 2007).
Le lien est donc au minimum un peu plus complexe que ne le laissent entendre Favey et Stiegler. Le débat scientifique et médical ne semble pas réellement tranché sur le sens exact de la corrélation, ni sur sa robustesse (il faudrait par ailleurs discuter de la nosologie de l’hyperactivité avec déficit de l’attention, sa validité étant elle-même débattue vu les effets de mode en psychiatrie).
Le principal problème à mes yeux est qu’un enfant d’un ou trois ans n’allume généralement pas la télévision tout seul. C’est-à-dire que ce sont ses parents qui le placent devant le poste, ou bien qui lui laissent le téléviseur accessible. Si l’enfant est invité ou laissé libre de passer des heures à regarder chaque jour la télé avant trois ans, je pense que ses parents ont une certaine probabilité d’avoir eux-mêmes quelques problèmes psychologiques. Je pourrais faire l'hypothèse qu’ils ont une capacité cognitive peut-être inférieure à la moyenne, mais on me comprendra mieux si je l’exprime plus directement : seuls des abrutis finis achèvent d’abrutir devant une télé leurs gosses déjà mal partis dans la vie…
(Le reste de l'article consiste à dire in fine que les pouvoirs publics doivent contrôler les médias ou leur usage, car ces médias occupent une place centrale dans l'imaginaire contemporain et menacent le socle éducatif de la démocratie moderne. J'ai évidemment de gros doutes sur cette manière de poser les problématiques. Sur ma critique des travaux de Stiegler, voir aussi ici : Désir, esprit, capital)
La crise a-t-elle un sexe ?
Bon nombre d’Occidentaux vivent au-dessus de leurs moyens. Lorsqu’un secteur spéculatif entre en crise, comme l’immobilier, et entraîne dans son sillage le déclin de la croissance économique, la dette de ces particuliers se transforme en actif hautement toxique que tout le monde tente désespérément de se refiler. Mais au bout du compte, d’où vient la pulsion initiale d’endettement faisant que certains accumulent toutes sortes de crédits à la consommation ?
Daniel J. Kruger, chercheur à l’Université du Michigan, suggère qu’une partie de la réponse se trouve du côté… du sexe. Il adopte le point de vue de la psychologie évolutionnaire, une discipline consistant à analyser la cognition et le comportement des humains au prisme des hypothèses darwiniennes sur l’évolution. Or, Darwin nous a enseigné que l’évolution fonctionne selon une loi assez simple, la prime à celui qui produit le plus de descendants viables dans un milieu donné. Chez les espèces sexuées comme la nôtre, cela suppose donc d’attirer des partenaires. Or, l’être humain est sensible à un grand nombre d’indices de qualité reproductive, parmi lesquels la richesse et le statut figurent en bonne place : l’accumulation de biens mobiliers ou immobiliers augmente la probabilité de séduire des partenaires. Cela s’observe particulièrement dans la stratégie de séduction des mâles envers les femelles. Si Nicolas Sarkozy devait résumer l’hypothèse de Kruger par une de ses formules simples et délicates dont il a le secret, cela donnerait : «Consommer plus pour baiser plus».
Pour donner une première consistance à son hypothèse, Kruger a réalisé une étude téléphonique sur 409 individus par ailleurs enrôlés dans une enquête générale sur la santé. 100 étaient des hommes, 309 des femmes. Le chercheur a évalué leur attitude économique par des questions sur leur comportement d’épargne et de dépense. Il a également utilisé des questions standardisées du Sociosexuality Inventory (SOI) pour connaître leurs succès sexuels passés et leurs attentes futures (en partenaires conquis et espérés). Résultat : la tendance à la dépense plutôt qu’à l’épargne est un bon prédicteur chez les hommes (mais pas chez les femmes) du nombre de partenaires séduits dans les cinq dernières années et espérés dans les cinq prochaines. Kruger suggère donc de creuser la piste, en étudiant notamment plus en détail le facteur psychologique de prise de risque : on sait qu’il est généralement plus marqué chez les hommes que chez les femmes ; et la corrélation de la dépense financière et de la quête sexuelle pourrait être expliquée par ce facteur commun (c’est-à-dire que les hommes portés au risque financier sont par ailleurs portés au risque sexuel, sans que le second soit la motivation réelle du premier, la tendance à prendre des risques étant la cause commune des attitudes économiques et des stratégies reproductives).
En tout état de cause, d’innombrables facteurs autres que la sexualité permettent de donner une lecture psychologique de la crise actuelle. J’y reviendrai dès que possible en évoquant deux essais récemment traduits en français, Predictably Irrational de Dan Ariely et The Black Swam de Nassim Nicholas Taleb. Le point commun de toutes ces publications, et de bien d’autres dans le domaine florissant de l’analyse du comportement des acteurs économiques, c’est que la figure heuristique de l’Homo oeconomicus comme agent rationnel calculant son meilleur intérêt dans l’information disponible a du plomb dans l’aile. Ce paradigme de l’économie classique correspondait peut-être à l’idéalisme rationnel dominant le siècle l’ayant vu naître, mais il ne se retrouve pas dans les travaux récents de l’anthropologie et la psychologie scientifiques. Homo investit bien plus que l’intérêt et la raison dans son économie, laquelle est aussi bien infusée de désirs et de passions dont la combinatoire produit des effets collectifs assez différents des résultats des modèles…
Référence :
Kruger D.J. (2008), Male financial consumption is associated with higher mating intentions and mating success, Evolutionary Psychology, 6, 603-612 (lien pdf, anglais)
Illustration : Le publicité sait parler aux hommes (DR, source).
Daniel J. Kruger, chercheur à l’Université du Michigan, suggère qu’une partie de la réponse se trouve du côté… du sexe. Il adopte le point de vue de la psychologie évolutionnaire, une discipline consistant à analyser la cognition et le comportement des humains au prisme des hypothèses darwiniennes sur l’évolution. Or, Darwin nous a enseigné que l’évolution fonctionne selon une loi assez simple, la prime à celui qui produit le plus de descendants viables dans un milieu donné. Chez les espèces sexuées comme la nôtre, cela suppose donc d’attirer des partenaires. Or, l’être humain est sensible à un grand nombre d’indices de qualité reproductive, parmi lesquels la richesse et le statut figurent en bonne place : l’accumulation de biens mobiliers ou immobiliers augmente la probabilité de séduire des partenaires. Cela s’observe particulièrement dans la stratégie de séduction des mâles envers les femelles. Si Nicolas Sarkozy devait résumer l’hypothèse de Kruger par une de ses formules simples et délicates dont il a le secret, cela donnerait : «Consommer plus pour baiser plus».
Pour donner une première consistance à son hypothèse, Kruger a réalisé une étude téléphonique sur 409 individus par ailleurs enrôlés dans une enquête générale sur la santé. 100 étaient des hommes, 309 des femmes. Le chercheur a évalué leur attitude économique par des questions sur leur comportement d’épargne et de dépense. Il a également utilisé des questions standardisées du Sociosexuality Inventory (SOI) pour connaître leurs succès sexuels passés et leurs attentes futures (en partenaires conquis et espérés). Résultat : la tendance à la dépense plutôt qu’à l’épargne est un bon prédicteur chez les hommes (mais pas chez les femmes) du nombre de partenaires séduits dans les cinq dernières années et espérés dans les cinq prochaines. Kruger suggère donc de creuser la piste, en étudiant notamment plus en détail le facteur psychologique de prise de risque : on sait qu’il est généralement plus marqué chez les hommes que chez les femmes ; et la corrélation de la dépense financière et de la quête sexuelle pourrait être expliquée par ce facteur commun (c’est-à-dire que les hommes portés au risque financier sont par ailleurs portés au risque sexuel, sans que le second soit la motivation réelle du premier, la tendance à prendre des risques étant la cause commune des attitudes économiques et des stratégies reproductives).
En tout état de cause, d’innombrables facteurs autres que la sexualité permettent de donner une lecture psychologique de la crise actuelle. J’y reviendrai dès que possible en évoquant deux essais récemment traduits en français, Predictably Irrational de Dan Ariely et The Black Swam de Nassim Nicholas Taleb. Le point commun de toutes ces publications, et de bien d’autres dans le domaine florissant de l’analyse du comportement des acteurs économiques, c’est que la figure heuristique de l’Homo oeconomicus comme agent rationnel calculant son meilleur intérêt dans l’information disponible a du plomb dans l’aile. Ce paradigme de l’économie classique correspondait peut-être à l’idéalisme rationnel dominant le siècle l’ayant vu naître, mais il ne se retrouve pas dans les travaux récents de l’anthropologie et la psychologie scientifiques. Homo investit bien plus que l’intérêt et la raison dans son économie, laquelle est aussi bien infusée de désirs et de passions dont la combinatoire produit des effets collectifs assez différents des résultats des modèles…
Référence :
Kruger D.J. (2008), Male financial consumption is associated with higher mating intentions and mating success, Evolutionary Psychology, 6, 603-612 (lien pdf, anglais)
Illustration : Le publicité sait parler aux hommes (DR, source).
Vision, odeur et attraction
On a beaucoup écrit ces dernières années sur l’attractivité sexuelle des odeurs corporelles, montrant que les humains y sont encore sensibles. Du moins en situation expérimentale, lorsque les odeurs ne sont pas masquées par des parfums ou désodorisants, lorsque le cycle ovulatoire des femmes n’est pas perturbé par la contraception, etc. Le New Scientist a récemment publié un papier sur ce thème, que vous trouverez également traité en détail dans un de mes livres. Joshua D. Foster vient de publier dans le Journal of Social Psychology un travail comparant la manière dont 44 femmes jugent la qualité de partenaire sexuel de 21 hommes, soit par des stimuli olfactifs (T-shirt porté une nuit), soit par des stimuli visuels (photographie), présentés ensemble ou séparément. Il en ressort que la vision est bien plus prédictive que l’odeur pour l’attractivité d’un mâle. Mais les femmes fertiles ne prenant pas de contraception attribuent tout de même des scores visuels et olfactifs assez proches.
10.12.08
Critique de l'empreinte écologique
«Notre empreinte écologique mondiale dépasse maintenant la capacité de régénération de la planète d'environ 30 pour cent. Si nos demandes se maintiennent à la même cadence, nous aurons besoin, vers le milieu des années 2030, de l'équivalent de deux planètes pour maintenir notre mode de vie.» Cette phrase figure dans l’introduction du rapport Planète vivante 2008 du WWF. Son argument principal est devenu un lieu commun de la mauvaise conscience contemporaine dans sa version environnementale : des cafés du commerce aux lambris de la République, tout le monde répète volontiers l’image frappante des deux (ou trois ou quatre, inflation et spéculation sont ici admises) planètes nécessaires à la poursuite de notre développement.
Dans une intéressante tribune parue dans le quotidien Les Échos, Patrick Jolivet (responsable R&D de l'agence BMJ Ratings et chercheur associé au laboratoire Érasme, École centrale de Paris) souligne deux erreurs de ce type de raisonnement. D’abord, le calcul de l’empreinte écologique ne fait aucune référence au mécanisme des prix. C’est gênant puisque le cœur du raisonnement consiste à confronter une offre (ressources naturelles de la planète) et une demande (exploitation de ces ressources) et que jusqu’à plus ample informé, le prix est le principal indicateur de disponibilité (ou rareté) dans le mode de développement actuel. Chacun le comprend assez aisément : quand bien même nous aurions besoin de deux planètes en 2030, nous ne les aurions pas. Et ce qui va confronter les pratiques au réel, ce sont justement les prix des matières premières et de l’énergie : les ressources non renouvelables deviendront de plus en plus chères à mesure que leur stock s’amenuisera, ce qui ajustera leur demande à la baisse. Ensuite, Patrick Jolivet souligne que les projections d’empreinte écologique reposent sur le présupposé que toutes les économies du monde vont converger vers le mode de vie occidental. Mais c’est là assez contradictoire de la part du WWF comme des organisations environnementalistes, altermondialistes et autres en général, puisqu’elles ne cessent d’affirmer que l’on doit défendre les spécificités locales en ce domaine, l’idée même de «développement» étant supposée être une resucée mal déguisée des ardeurs coloniales de l’Occident se croyant centre et maître du monde. «On ne peut penser la complexité avec des indicateurs simplistes», observe et conclut Patrick Jolivet. Il faudrait ajouter que l’on ne peut pas analyser une évolution chaotique (au sens de Lorenz) avec des outils linéaires.
Les non-prises en compte du mécanisme des prix et de la diversité des développements ne sont pas les seules faiblesses du concept d’empreinte écologique. La technoscience est une autre grande absente du raisonnement, alors que c’est elle qui détermine centralement et depuis plusieurs siècles la «biocapacité», c’est-à-dire en fait la disponibilité de la matière et de l’énergie pour son utilisation humaine. Là encore, c’est du sens commun : la productivité en culture d’un hectare de sol n’est par exemple pas la même en 1800, en 1900 et en 2000. En soi, la surface de la Terre est surtout abondante en eau et le Soleil nous envoie à chaque seconde une quantité d’énergie considérable, immensément supérieure à nos besoins actuels ou futurs. Le spectre des pénuries d’eau ou d’énergie n’est donc terrifiant que si l’on suppose une incapacité durable à capter, traiter, transformer ou distribuer les ressources là où elles se trouvent. Ici encore, les présupposés de chacun demandent à être spécifiés plutôt que de rester sous-jacents aux raisonnements. Le monde aura essentiellement besoin de chercheurs et d’ingénieurs s’il veut concilier développement et durée ; mais si l’idée même de développement paraît finalement critiquable, si la production et la consommation doivent être freinées parce qu’on les juge moralement mauvaises (le «on» étant à préciser), si le vieux projet européen de maîtrise de la nature est à jeter aux oubliettes pour péché mortel de grandeur prométhéenne ou de démesure faustienne, alors bien sûr, on a déjà certaines solutions en tête et l’on tend à poser les problématiques de telle sorte que ces solutions soient perçues comme les seules viables.
Dans une intéressante tribune parue dans le quotidien Les Échos, Patrick Jolivet (responsable R&D de l'agence BMJ Ratings et chercheur associé au laboratoire Érasme, École centrale de Paris) souligne deux erreurs de ce type de raisonnement. D’abord, le calcul de l’empreinte écologique ne fait aucune référence au mécanisme des prix. C’est gênant puisque le cœur du raisonnement consiste à confronter une offre (ressources naturelles de la planète) et une demande (exploitation de ces ressources) et que jusqu’à plus ample informé, le prix est le principal indicateur de disponibilité (ou rareté) dans le mode de développement actuel. Chacun le comprend assez aisément : quand bien même nous aurions besoin de deux planètes en 2030, nous ne les aurions pas. Et ce qui va confronter les pratiques au réel, ce sont justement les prix des matières premières et de l’énergie : les ressources non renouvelables deviendront de plus en plus chères à mesure que leur stock s’amenuisera, ce qui ajustera leur demande à la baisse. Ensuite, Patrick Jolivet souligne que les projections d’empreinte écologique reposent sur le présupposé que toutes les économies du monde vont converger vers le mode de vie occidental. Mais c’est là assez contradictoire de la part du WWF comme des organisations environnementalistes, altermondialistes et autres en général, puisqu’elles ne cessent d’affirmer que l’on doit défendre les spécificités locales en ce domaine, l’idée même de «développement» étant supposée être une resucée mal déguisée des ardeurs coloniales de l’Occident se croyant centre et maître du monde. «On ne peut penser la complexité avec des indicateurs simplistes», observe et conclut Patrick Jolivet. Il faudrait ajouter que l’on ne peut pas analyser une évolution chaotique (au sens de Lorenz) avec des outils linéaires.
Les non-prises en compte du mécanisme des prix et de la diversité des développements ne sont pas les seules faiblesses du concept d’empreinte écologique. La technoscience est une autre grande absente du raisonnement, alors que c’est elle qui détermine centralement et depuis plusieurs siècles la «biocapacité», c’est-à-dire en fait la disponibilité de la matière et de l’énergie pour son utilisation humaine. Là encore, c’est du sens commun : la productivité en culture d’un hectare de sol n’est par exemple pas la même en 1800, en 1900 et en 2000. En soi, la surface de la Terre est surtout abondante en eau et le Soleil nous envoie à chaque seconde une quantité d’énergie considérable, immensément supérieure à nos besoins actuels ou futurs. Le spectre des pénuries d’eau ou d’énergie n’est donc terrifiant que si l’on suppose une incapacité durable à capter, traiter, transformer ou distribuer les ressources là où elles se trouvent. Ici encore, les présupposés de chacun demandent à être spécifiés plutôt que de rester sous-jacents aux raisonnements. Le monde aura essentiellement besoin de chercheurs et d’ingénieurs s’il veut concilier développement et durée ; mais si l’idée même de développement paraît finalement critiquable, si la production et la consommation doivent être freinées parce qu’on les juge moralement mauvaises (le «on» étant à préciser), si le vieux projet européen de maîtrise de la nature est à jeter aux oubliettes pour péché mortel de grandeur prométhéenne ou de démesure faustienne, alors bien sûr, on a déjà certaines solutions en tête et l’on tend à poser les problématiques de telle sorte que ces solutions soient perçues comme les seules viables.
Euthanasie : pendant l'agonie, le débat continue
Dans une tribune à Libération, Véronique Fournier (directrice du Centre d'éthique clinique à l'hôpital Cochin, Paris) revient sur l’euthanasie et la loi Leonetti (voir notamment ici et ici). Elle observe d’abord que le débat sur la fin de vie est, comme souvent, l’occasion pour certains de brandir l’oriflamme de la morale en supposant que leurs adversaires en sont dénués : «Certains se saisissent même de l’occasion pour donner des leçons de morale, ils appellent à une mobilisation éthique collective et à en finir avec le temps des vaines controverses. L’interpellation est violente. Serions-nous vraiment à l’aube d’un péril éthique ? Et les conclusions de M. Leonetti n’ont-elles pas vocation à plutôt inviter au débat qu’à le clore ? Il circule sur ces sujets aujourd’hui comme un parfum de prêt à penser bien-pensant et soi-disant consensuel qui fait frémir. Il devient urgent d’y résister.»
Elle conteste également la présentation faite par la commission parlementaire des expériences de nos voisins ayant légalisé euthanasie ou suicide assisté : «Que penser d’abord de la menace d’un péril éthique collectif ? Les Belges, les Hollandais, les Suisses y auraient déjà cédé, nous dit-on, en légiférant qui sur l’euthanasie, qui sur l’aide au suicide. Chez eux, l’euthanasie serait banalisée, jusqu’à s’appliquer à des personnes atteintes d’Alzheimer ; et on accepterait d’aider au suicide des personnes âgées simplement parce qu’elles se disent fatiguées de vivre… Mais comment ignorer que chez nous aussi, ici en France, il se rencontre, et souvent, des gens qui comme en Belgique, disent que s’ils ont vraiment la maladie d’Alzheimer, lorsqu’elle atteindra des proportions trop importantes, alors il faudra, je vous en supplie, que tout soit fait pour que cela s’arrête, qui demandent à l’écrire et que cela soit consigné dans leurs directives anticipées. (…) Il faut savoir aussi, qu’en France comme en Suisse, des personnes âgées ou moins âgées disent en toute lucidité que cela suffit, qu’ils ont assez vécu, que la maladie chronique qui les mine depuis des années et qui reste pourtant à peu près contrôlée médicalement, fait qu’ils sont devenus las de leur vie, qu’ils refusent qu’elle devienne pour eux, et pour leurs proches, plus lourde et lancinante encore.»
Véronique Fournier s’en prend également à l’hypocrisie de l’actuelle loi Leonetti qui accepte de fermer les yeux sur le «laisser-mourir» tout en s’arc-boutant sur l’interdit du «faire-mourir» : «Comment appeler autrement qu’euthanasie ce qui survient lorsqu’on arrête de nourrir et d’hydrater quelqu’un pendant plusieurs jours, sciemment, pour et jusqu’à ce que mort s’en suive ? Le recours à cette extrémité est autorisé par la loi, celle qui est censée faire de nous des parangons de vertu éthique et démocratique, des chevaliers blancs de la défense des droits de l’homme. (…) Les demandes de mort par arrêt d’alimentation et d’hydratation se multiplient aujourd’hui en France, parce que c’est souvent le seul moyen légal d’obtenir la mort que l’on souhaite ardemment pour soi ou pour l’autre».
Elle conteste également la présentation faite par la commission parlementaire des expériences de nos voisins ayant légalisé euthanasie ou suicide assisté : «Que penser d’abord de la menace d’un péril éthique collectif ? Les Belges, les Hollandais, les Suisses y auraient déjà cédé, nous dit-on, en légiférant qui sur l’euthanasie, qui sur l’aide au suicide. Chez eux, l’euthanasie serait banalisée, jusqu’à s’appliquer à des personnes atteintes d’Alzheimer ; et on accepterait d’aider au suicide des personnes âgées simplement parce qu’elles se disent fatiguées de vivre… Mais comment ignorer que chez nous aussi, ici en France, il se rencontre, et souvent, des gens qui comme en Belgique, disent que s’ils ont vraiment la maladie d’Alzheimer, lorsqu’elle atteindra des proportions trop importantes, alors il faudra, je vous en supplie, que tout soit fait pour que cela s’arrête, qui demandent à l’écrire et que cela soit consigné dans leurs directives anticipées. (…) Il faut savoir aussi, qu’en France comme en Suisse, des personnes âgées ou moins âgées disent en toute lucidité que cela suffit, qu’ils ont assez vécu, que la maladie chronique qui les mine depuis des années et qui reste pourtant à peu près contrôlée médicalement, fait qu’ils sont devenus las de leur vie, qu’ils refusent qu’elle devienne pour eux, et pour leurs proches, plus lourde et lancinante encore.»
Véronique Fournier s’en prend également à l’hypocrisie de l’actuelle loi Leonetti qui accepte de fermer les yeux sur le «laisser-mourir» tout en s’arc-boutant sur l’interdit du «faire-mourir» : «Comment appeler autrement qu’euthanasie ce qui survient lorsqu’on arrête de nourrir et d’hydrater quelqu’un pendant plusieurs jours, sciemment, pour et jusqu’à ce que mort s’en suive ? Le recours à cette extrémité est autorisé par la loi, celle qui est censée faire de nous des parangons de vertu éthique et démocratique, des chevaliers blancs de la défense des droits de l’homme. (…) Les demandes de mort par arrêt d’alimentation et d’hydratation se multiplient aujourd’hui en France, parce que c’est souvent le seul moyen légal d’obtenir la mort que l’on souhaite ardemment pour soi ou pour l’autre».
Sur un banc
La philosophie étudie parfois le langage ordinaire ou naturel, parfois le langage logique ou formel. Par-dessous tout, elle parle le langage philosophique lui-même, comme les vieux marmonnent un patois sur leur banc, pendant qu’on rase leur maison.
9.12.08
Cadavres des villes, cadavres des champs ?
Dans Le Monde, un entretien avec le député Jean-Frédéric Poisson, auteur d’un prochain rapport sur les profanations de tombes en France. Il observe que «dans huit cas sur dix, les profanations ont lieu en zone rurale». Et il affirme en même temps : «je crois que le respect des ancêtres et des sépultures ne va plus de soi dans nos sociétés. On assiste à une banalisation, voire à une désacralisation de la mort». C’est curieux, parce que les campagnes sont supposées plus conservatrices que les villes, le mouvement de banalisation et de désacralisation devrait être inverse, plus marqué en zone urbaine qu’en zone rurale. J’aurais fait personnellement une hypothèse de travail différente : que les dernières campagnes sont traditionnellement plus indifférentes au statut intouchable des corps morts et de leur symbolique que les villes. Il me semble que la séparation nette des vivants et des morts, notamment la création d’enclos extérieurs au bourg pour les seconds, est un phénomène apparu progressivement, ne répondant pas à une habitude plus ancienne d’intégrer de quelque manière (y compris transgressive) le corps des morts dans le cours des vivants. Mais une autre hypothèse, moins complexe à tester dans les recherches de causalité, serait évidemment qu’il y a plus d'arriérés mentaux dans les campagnes.
Dispositifs et dispositions
Dans un petit livre, le philosophe Giorgio Agamben se demande «qu’est-qu’un dispositif ?». A la suite de Michel Foucault, qui voyait dans le dispositif toute structuration active ou cognitive d’un rapport de pouvoir (un discours comme un asile ou une prison sont des dispositifs en ce sens), Agamben l’étend aux objets techniques de notre quotidien (un téléphone, une télévision, une automobile deviennent aussi des dispositifs). Ce qui m’étonne, chez Foucaut comme chez Agamben, c’est l’évacuation de l’observation la plus simple : un dispositif répond à une disposition. J’ai toujours l’impression qu’il y a chez ces auteurs une évidence implicite, non questionnée, selon laquelle le comportement (gestes et conduites) et la cognition (discours et opinions) des humains sont infiniment malléables par leur milieu d’action et d’interaction (dispositifs). Que différents dispositifs répondent à différentes dispositions, ou que différentes dispositions investissent un même dispositif de plusieurs manières d’être et de devenir, voilà qui me semble pourtant une hypothèse à réfléchir, au minimum.
Des souvenirs dans les gènes
On admet que la mémoire se forme dans le cerveau, et que certaines configurations des neurones y stockent les souvenirs. Mais comme les protéines liant ces neurones au niveau des jonctions synaptiques ne cessent de se dégrader et de se recréer dans le temps, on peut se demander : comment font certains souvenirs pour rester intacts à travers les décennies ? C’est un peu la version cérébrale du paradoxe grec de la barque. Courtney A. Miller et David Sweatt, neurobiologistes à l’Université de l’Alabama (Birmingham), suggèrent que les souvenirs pourraient être directement stockés dans l’ADN, à travers un processus appelé méthylation. Celle-ci consiste en l’adjonction d’un ensemble moléculaire (groupe méthyl) sur les cytosines de l’ADN, ce qui va moduler l’expression des gènes, inhibant certains ou activant d’autres. Cette modulation des gènes persisterait dans le temps, conformerait leur production moléculaire et expliquerait le maintien des souvenirs. Miller et Sweatt avaient déjà montré en 2007 que les enzymes méthyltransférases (DNMTs) à l’œuvre dans le processus de méthylation jouent un rôle dans la formation de la mémoire des rongeurs lors d’un apprentissage conditionné (Miller 2007). Ce premier travail concernait l’hippocampe. Dans une recherche ultérieure, évoquée au dernier meeting de la Société américaine des neurosciences, ils ont montré qu’un processus de transfert de groupe méthyl se déroule également dans les cellules du cortex, et cela plusieurs jours après une expérience d’apprentissage. «On pense que nous observons ainsi des souvenirs de court terme se formant dans l’hippocampe et se transformant lentement en souvenirs de long terme dans le cortex», a expliqué Courtney Miller.
Contagion de l'heur
Entre 1983 et 2003, 4739 individus participant à une étude longitudinale sur le coeur (la cohorte de Framingham, l'une des plus célèbres et des plus anciennes en épidémiologie) ont rempli toutes sortes de questionnaires standardisés sur leur état de santé physique et psychologique. Un de ces questionnaires concernait le bonheur – eh oui, tout se mesure. Les mêmes participants donnaient des indications sur leurs connaissances et fréquentations, ce qui a permis à James E. Fowler et Nicholas A. Christakis de reconstituer des réseaux sociaux (plus de 53.000 connexions signalées entre les personnes). Les deux chercheurs ont donc pu étudier sur 20 ans si le bonheur avait tendance à se transmettre d’un invividu à l’autre, en formant ainsi des niches dans ces réseaux. Et c’est le cas ! Jusqu’à trois degrés de séparation (un ami d’un ami d’un ami), on note qu’une personne heureuse (se déclarant telle) augmente la probabilité que ses contacts le soient aussi. Et inversement, un malheur n’arrivant jamais seul. L’effet contagieux du bonheur comme du malheur tend à se dissiper avec la distance physique entre deux interacteurs et avec le temps.
Référence : Fowler J.H., N.N Christakis (2008), Dynamic spread of happiness in a large social network: longitudinal analysis over 20 years in the Framingham Heart Study, British Medical Journal, 337, a2338, doi:10.1136/bmj.a2338.
Référence : Fowler J.H., N.N Christakis (2008), Dynamic spread of happiness in a large social network: longitudinal analysis over 20 years in the Framingham Heart Study, British Medical Journal, 337, a2338, doi:10.1136/bmj.a2338.
Domaine ZP et contraceptif non-hormonal
La matrice externe (appelée zone pellucide) des ovocytes présente une certaine structure indispensable à sa reconnaissance par les spermatozoïdes de la même espèce, et donc à la fécondation. Luca Jovine et ses collègues suédois publient dans Nature une étude par cristallographie de la structure moléculaire des protéines du domaine ZP-N (en l’occurrence ZP-2 et ZP-3 pour l’ovocyte des mammifères) de cette matrice. Certaines pathologies de la zone pellucide provoquent l’infertilité chez l’animal et chez l’homme. Les chercheurs pensent que leur travail peut aboutir à la mise au point d’un contraceptif non-hormonal.
Le Web 2.0 a-t-il un sexe ?
L’anthropologue darwinienne Helen Fischer est l’une des invitées du Forum Le Web, qui se tiet à Paris aujourd’hui et demain. Le thème en est «l’amour !», et la problématique : le Web 2.0 modifie-t-il les modes de rencontres et de pratiques amoureuses. Dans Le Monde, Fischer note : «Se dévoiler devant ses semblables n'est pas vraiment une chose nouvelle. Pendant des millions d'années nos ancêtres ont voyagé en tribu pour chasser et tout le monde connaissait à peu près tout des autres. Nos concepts d'"intimité" sont très récents à l'échelle de l'histoire de l'humanité. S'exhiber sur le Net est une publicité à la fois d'ordre social et sexuel que beaucoup de gens font tout naturellement.» Dans le même temps, l’étude SocioGeek sur l’expression de soi et l’usage des réseaux communautaires donne ses premiers résultats. Sur 11.000 personnes ayant rempli le questionnaire, l’âge moyen est de 28 ans et 73,6% sont des hommes. Les trois types de site les plus utilisés sont Facebook (69%), les blogs (36%) et Copains d'avant (24%). 4,31% seulement des répondants considèrent que l’usage du web social est avant tout la rencontre amoureuse, alors que plus de la moitié les utilise pour discuter avec des gens déjà connus hors du réseau. Tout cela semble assez endogame et gentillet, finalement.
7.12.08
Wikipedopornographia
Amusante histoire sur le site de Libération. Depuis trois jours, il est impossible pour un certain nombre d’internautes anglais d’accéder à Wikipedia. Motif : par un jeu complexe de proxies de filtrage, l’encyclopédie a été mise sur la liste noire des sites à contenu répréhensible par les cybercurés de l’International Watch Foundation UK, un groupe dédié à la traque des horriiiiiiiiibles contenus d’incitation à la pédopornographie ou à la haine raciale. En l’occurrence, Wikipedia a commis le crime de publier cette photo de la pochette de Virgin Killer, un album des Sorpions datant de 1976. Commentaire du journaliste : «Dans cette nouvelle histoire, on retrouve donc tous les ingrédients de ce qui est en train de se passer un peu partout dans le monde. C’est-à-dire essayer de mettre en place un contrôle et un filtrage centralisé d’Internet au nom de la lutte contre la pédo-pornographie. Et ce malgré l’avis de nombreux experts et acteurs du web qui jugent toutes les mesures aujourd’hui envisageables comme techniquement impossibles sans gros dommages collatéraux.» Mais cela ne devrait pas faire vaciller un instant les solides convictions de l’Internationale du bon sentiment et du juste comportement, ni la faire dévier d’un iota de son combat éternel : purger le monde de toute expression du mal pour donner de l’homme le pur et délicat reflet de ce qu’il n’est pas.
Illustration : DR.
Illustration : DR.
Ceux de Tarnac (1) : manipulation des désirs sécuritaires de l'esclave
Je l’avais promis, voici donc quelques mots sur l’affaire des «terroristes de Tarnac». Le 11 novembre dernier, la police procède à des interpellations dans la mouvance dite «anarcho-autonome». Celles-ci sont liées au sabotage de lignes TGV, des arrachages de caténaires ayant entraîné ces dernières semaines divers retards sur le réseau ferré français. Sur les dix personnes interpellées, dont on apprend qu’elles étaient étroitement surveillées depuis environ une année par les services de police, quatre sont libérées sous contrôle judiciaire, cinq sont placés sous mandat de dépôt avec inculpation d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Finalement, la cour d’appel de Paris a libéré trois des suspects le 2 décembre, mais elle a décidé le maintien en détention des leaders supposés, Julien Coupat et sa compagne Yldune L. Ils encourent jusqu’à 20 ans de prison. On trouvera les détails de cette affaire, ainsi qu’une pétition sur le site de Soutien aux inculpés du 11 novembre.
Le premier point de débat, c’est la construction politico-médiatique du « terrorisme » visant à soutenir l’emprise croissante de l’État sur les individus, sous prétexte de sécurité.
D’abord, aucun élément de fait n’a été clairement présenté pour soutenir l’inculpation : pas de flagrant délit, pas d’aveux, pas de traces ADN, pas d’éléments matériels montrant clairement la préparation des sabotages. Ces éléments existent peut-être, mais la seule chose dont on a fait état est une quasi-certitude policière, acquise après un long flicage des suspects. Cela n’a pas empêché les médias de mordre à l’hameçon (y compris les médias de gauche, comme Libération titrant «l’ultragauche déraille»), avant de se rétracter par la suite pour certains.
Ensuite, on a décrit comme une mystérieuse et menaçante «mouvance» ce qui semble être une simple collection d’individus particulièrement actifs, éventuellement violents, dans diverses luttes sociales ; et ici un groupe de jeunes gens ayant décidé de vivre à l’écart des autres, dans un coin perdu près de Tarnac. Christophe Chaboud, chef de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, explique ainsi dans Libération, quand on lui demande comment s’expriment les velléités terroristes : «De par leur attitude et leur mode de vie. Ces personnes recherchent une coupure totale avec la société. Ils souhaitent transcrire leurs pensées en actes violents tout en se préparant à une vie clandestine. (…) Cette action s’inscrivait dans une logique dangereuse. Donc, il était justifié que l’on décide de les neutraliser de manière préventive, avant que l’irréparable ne soit commis.» C’est étrange, parce que les jeunes gens de Tarnac étaient parfaitement connus de leurs voisins, ayant notamment repris une épicerie-bar, ce qui n’est pas une forme particulièrement efficace de clandestinité. C’est navrant, parce que l’attitude plutôt saine consistant à dire merde à une société et un pouvoir de merde pour construire un mode de vie alternatif de son choix devient un engagement vers la pente glissante du terrorisme. C’est inquiétant, parce que l’on comprend à demi-mots que l’arrestation concerne des faits de peu de gravité, qu’elle est essentiellement «préventive». En somme, on a presque voulu faire le bien de ces jeunes gens malgré eux.
Enfin, quand bien même il serait matériellement démontré que Coupat et son groupe sont impliqués dans la destruction de caténaires, celle-ci relève de la dégradation de biens publics, et non pas du terrorisme. Personne n’est terrorisé par le retard d’un train, ou alors nous le sommes en permanence vu la ponctualité légendaire de nos lignes ferroviaires. Personne ne considère la destruction d’un objet comme équivalent à la destruction d’une vie humaine, ou alors il faut qualifier de terroristes tous ces jeunes gens idiots et désœuvrés qui brûlent des voitures et des poubelles, caillassent des pompiers et des flics, détruisent des abribus et des panneaux, dégradent des centres culturels et des écoles.
Depuis le 11 septembre 2001, et avant cela la chute du Mur de Berlin, le terrorisme est devenu l’alibi des États privés d’ennemis visibles pour quadriller les sociétés et surveiller les individus, pour lever des impôts et mener des guerres, pour construire des consensus et dissimuler des échecs. Et surtout pour légitimer des lois sécuritaires à mesures d’exception empiétant sur les droits fondamentaux des personnes. Il faudrait être naïf pour nier l’existence de groupes violents et dangereux, faisant régulièrement la une de l’actualité comme récemment à Bombay, n’hésitant pas à sacrifier des vies humaines pour une cause qu’ils croient juste. Mais il faudrait être tout aussi naïf pour nier la propension de l’État à étendre sans cesse les limites de son gouvernement, à justifier les interventions de ses fonctionnaires dans la vie privée des citoyens, à contrôler au plus près l’expression et l’action des individus, à substituer l’action publique à l’initiative privée, à réglementer et organiser tout ce qui pourrait relever de la libre-association des personnes, à priver chacun des moyens de se défendre pour mieux vendre à tous sa tutelle sans cesse élargie. Du terrorisme-réalité, nous menaçons toujours de verser dans le terrorisme-fantasme servant d'alibi à la destruction des libertés par extension du contrôle, de la surveillance, de l'inspection, de la protection, de la domination, de la vérification – et cela en alimentant dans les masses un désir de sécurité généralisé à tous les domaines de l'existence. Que la droite flatte la sécurité physique et morale quand la gauche cajole la sécurité économique et sociale n'empêche évidemment pas les deux fers de cette tenaille de converger vers un même résultat, la disparition progressive des libertés concrètes des individus et des groupes au profit d'une gestion socialisée et normalisée de chaque instant de la vie.
Je me contente habituellement dans ce blog de critiquer le phénomène dans mes domaines d’intérêt, essentiellement biomédicaux, mais il est évident à mes yeux que toute notre vie sociale est ainsi gangrenée par les interventions d’un pouvoir politique et administratif montrant une forte prédisposition à l’obésité comme à l’agressivité. Et avant cela, toute notre vie mentale est infectée par l’idée que la société moderne de masse mérite de survivre sous la perfusion de l’État qui la maintient à bout de bras, particulièrement en France. Mais je reviendrai sur cela dans un autre post, consacré à la critique d’un petit livre que l’on prête à Coupat et à ses amis – car ils sont non seulement terroristes présumés mais aussi auteurs présumés, vivant ainsi dans les limbes étranges de la présomption ubiquitaire, dont la traduction concrète ressemble pour eux à quatre murs d’une cellule de prison –, un petit livre appelé L’insurrection qui vient et signé du Comité Invisible.
Le premier point de débat, c’est la construction politico-médiatique du « terrorisme » visant à soutenir l’emprise croissante de l’État sur les individus, sous prétexte de sécurité.
D’abord, aucun élément de fait n’a été clairement présenté pour soutenir l’inculpation : pas de flagrant délit, pas d’aveux, pas de traces ADN, pas d’éléments matériels montrant clairement la préparation des sabotages. Ces éléments existent peut-être, mais la seule chose dont on a fait état est une quasi-certitude policière, acquise après un long flicage des suspects. Cela n’a pas empêché les médias de mordre à l’hameçon (y compris les médias de gauche, comme Libération titrant «l’ultragauche déraille»), avant de se rétracter par la suite pour certains.
Ensuite, on a décrit comme une mystérieuse et menaçante «mouvance» ce qui semble être une simple collection d’individus particulièrement actifs, éventuellement violents, dans diverses luttes sociales ; et ici un groupe de jeunes gens ayant décidé de vivre à l’écart des autres, dans un coin perdu près de Tarnac. Christophe Chaboud, chef de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, explique ainsi dans Libération, quand on lui demande comment s’expriment les velléités terroristes : «De par leur attitude et leur mode de vie. Ces personnes recherchent une coupure totale avec la société. Ils souhaitent transcrire leurs pensées en actes violents tout en se préparant à une vie clandestine. (…) Cette action s’inscrivait dans une logique dangereuse. Donc, il était justifié que l’on décide de les neutraliser de manière préventive, avant que l’irréparable ne soit commis.» C’est étrange, parce que les jeunes gens de Tarnac étaient parfaitement connus de leurs voisins, ayant notamment repris une épicerie-bar, ce qui n’est pas une forme particulièrement efficace de clandestinité. C’est navrant, parce que l’attitude plutôt saine consistant à dire merde à une société et un pouvoir de merde pour construire un mode de vie alternatif de son choix devient un engagement vers la pente glissante du terrorisme. C’est inquiétant, parce que l’on comprend à demi-mots que l’arrestation concerne des faits de peu de gravité, qu’elle est essentiellement «préventive». En somme, on a presque voulu faire le bien de ces jeunes gens malgré eux.
Enfin, quand bien même il serait matériellement démontré que Coupat et son groupe sont impliqués dans la destruction de caténaires, celle-ci relève de la dégradation de biens publics, et non pas du terrorisme. Personne n’est terrorisé par le retard d’un train, ou alors nous le sommes en permanence vu la ponctualité légendaire de nos lignes ferroviaires. Personne ne considère la destruction d’un objet comme équivalent à la destruction d’une vie humaine, ou alors il faut qualifier de terroristes tous ces jeunes gens idiots et désœuvrés qui brûlent des voitures et des poubelles, caillassent des pompiers et des flics, détruisent des abribus et des panneaux, dégradent des centres culturels et des écoles.
Depuis le 11 septembre 2001, et avant cela la chute du Mur de Berlin, le terrorisme est devenu l’alibi des États privés d’ennemis visibles pour quadriller les sociétés et surveiller les individus, pour lever des impôts et mener des guerres, pour construire des consensus et dissimuler des échecs. Et surtout pour légitimer des lois sécuritaires à mesures d’exception empiétant sur les droits fondamentaux des personnes. Il faudrait être naïf pour nier l’existence de groupes violents et dangereux, faisant régulièrement la une de l’actualité comme récemment à Bombay, n’hésitant pas à sacrifier des vies humaines pour une cause qu’ils croient juste. Mais il faudrait être tout aussi naïf pour nier la propension de l’État à étendre sans cesse les limites de son gouvernement, à justifier les interventions de ses fonctionnaires dans la vie privée des citoyens, à contrôler au plus près l’expression et l’action des individus, à substituer l’action publique à l’initiative privée, à réglementer et organiser tout ce qui pourrait relever de la libre-association des personnes, à priver chacun des moyens de se défendre pour mieux vendre à tous sa tutelle sans cesse élargie. Du terrorisme-réalité, nous menaçons toujours de verser dans le terrorisme-fantasme servant d'alibi à la destruction des libertés par extension du contrôle, de la surveillance, de l'inspection, de la protection, de la domination, de la vérification – et cela en alimentant dans les masses un désir de sécurité généralisé à tous les domaines de l'existence. Que la droite flatte la sécurité physique et morale quand la gauche cajole la sécurité économique et sociale n'empêche évidemment pas les deux fers de cette tenaille de converger vers un même résultat, la disparition progressive des libertés concrètes des individus et des groupes au profit d'une gestion socialisée et normalisée de chaque instant de la vie.
Je me contente habituellement dans ce blog de critiquer le phénomène dans mes domaines d’intérêt, essentiellement biomédicaux, mais il est évident à mes yeux que toute notre vie sociale est ainsi gangrenée par les interventions d’un pouvoir politique et administratif montrant une forte prédisposition à l’obésité comme à l’agressivité. Et avant cela, toute notre vie mentale est infectée par l’idée que la société moderne de masse mérite de survivre sous la perfusion de l’État qui la maintient à bout de bras, particulièrement en France. Mais je reviendrai sur cela dans un autre post, consacré à la critique d’un petit livre que l’on prête à Coupat et à ses amis – car ils sont non seulement terroristes présumés mais aussi auteurs présumés, vivant ainsi dans les limbes étranges de la présomption ubiquitaire, dont la traduction concrète ressemble pour eux à quatre murs d’une cellule de prison –, un petit livre appelé L’insurrection qui vient et signé du Comité Invisible.
Mélopée cynique
«Je chante le chien crotté, le chien pauvre, le chien sans domicile, le chien flâneur, le chien saltimbanque, le chien dont l’instinct, comme celui du pauvre, du bohémien, et de l’histrion, est merveilleusement aiguillonné par la nécessité, cette si bonne mère, cette vraie patronne de l’intelligence» (Baudelaire, Spleen de paris, L). Ah mais pardon, en ces temps de crise, on doit vanter le chenil, ne plus flatter le chien. Chipotons ensemble le détail de répartition des milliards de l’assistance canine, chers amis progressistes. Tant il est vrai que chaque crise du capitalisme est pain béni pour l’étatisme – ses colliers, ses laisses, ses tatouages, ses pedigrees, ses éleveurs, ses dresseurs, bref tout ce que l’émancipation publique promet en lieu et place de l’aliénation privée.
Les yeux dans les yeux
La dilatation des pupilles est un grand classique de la littérature de gare — «ses pupilles immenses se dilataient à l’infini sous l’effet de la chaleur, de l’alcool et du désir» (© auteur, titre, éditeur et gare inconnus) — , mais elle est plus rare dans la littéraure de laboratoire. Kathryn Demos et ses collègues, du Laboratoire de neurosciences cogitives du Dartmouth College (New Hampshire, Etats-Unis), s’y sont intéressés. Des sujets mâles et volontaires subissaient une imagerie par résonance magnétique fonctionnelle en même temps qu’ils observaient des photographies de femmes dont les pupilles variaient par rapport à leur diamètre moyen. Résultat : l’amygdale droite et la substantia innominata (noyau accumbens, noyau de Meynert) des hommes s’excitent dans le cerveau à mesure que l’œillade féminine se dilate. Après questionnaire, il ressort que les sujets n’étaient pas conscients des variations observées. Il semble donc, concluent les chercheurs, que les pupilles adressent des indices inconscients d’excitation et d’intérêt chez les conspécifiques – le phénomène n’étant pas limité à l’espèce humaine.
Référence :
Demos K.A. et al. (2008), Human amygdala sensitivity to the pupil size of others, Cerebral Cortex, 18, 12, 2729-2734, doi:10.1093/cercor/bhn034
Illustration : C. Muller
Référence :
Demos K.A. et al. (2008), Human amygdala sensitivity to the pupil size of others, Cerebral Cortex, 18, 12, 2729-2734, doi:10.1093/cercor/bhn034
Illustration : C. Muller
6.12.08
Changement d'heure : c'est bon pour la planète (mais pas pour tous ses habitants)
Un article du New England Journal of Medicine suggère que les changements d’heure hiver/été augmentent d’environ 5% la mortalité par trouble cardiovasculaire quand nous ajoutons une heure en phase estivale, et cela dans la première semaine de perturbation des rythmes pendulaires et biologiques. En même temps, de quoi se plaint-on ? Nous sommes payés pour savoir que l’on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs. Non seulement on économise de l’énergie, mais on liquide de vieux cardiaques de l’Hémisphère Nord dont l’empreinte écologique / carbonique est si lourde à porter pour notre pauvre planète. Les militants de Greenpeace doivent être contents. Allez, changeons montres et pendules de deux heures au lieu d’une, et les générations futures nous en serons reconnaissantes.
MoT, test génétique universel
La société anglaise Bridge, spécialisée dans le traitement de l’infertilité, a annoncé la mise au point d’un test génétique universel, «révolutionnaire», applicable à l’embryon obtenu in vitro, susceptible d’identifier les gènes de prédisposition de presque toutes les maladies héréditaires connues et d’un grand nombre de maladies multifactorielles (diabète, cancer, Alzheimer). Le Times s’en est notamment fait écho. Baptisé «Genetic MoT» ou «Karyomapping», ce test est en cours d’essais cliniques dans divers pays et recevra peut-être dès 2009 son autorisation de mise sur le marché anglais (selon l’avis de l’Human Fertilisation and Embryology Authority). Des procédures similaires sont engagées en Espagne, en Belgique et aux Etats-Unis. Le coût pour le patient est estimé entre 1500 et 2000 euros, pas très éloigné des tests actuels mais avec un spectre de dépistage bien plus large. Tellement large que l’on peut s’interroger sur les choix cornéliens des futurs parents : sur les quelques embryons fabriqués dans le cadre d’une fécondation in vitro, la probabilité d’en obtenir un totalement indemne des innombrables prédispositions aux innombrables pathologies humaines est finalement assez faible... Cela conduira peut-être à la phase suivante, celle de la correction in vitro des anomalies génétiques au stade embryonnaire. Une solution actuellement interdite sous prétexte que cette modification germinale (affectant les futures cellules sexuelles de l’individu à naître) est assimilable à de l’eugénisme.
Les grosses têtes
Marieke van Leeuwen et ses collègues ont examiné 112 paires de jumeaux âgés de neuf ans, dont ils ont mesuré le QI (matrices de Raven), la vitesse de perception, le volume total du cerveau, les volumes respectifs de matière grise (corps neuronauxs) et blanche (gaines de myéline). Il est en ressort une corrélation positive entre intelligence et volumes cérébraux, comprise entre .22 et .33, dont l’origine serait de nature génétique. La vitesse de perception est en revanche indépendante.
A dire vrai, ce résultat n’est pas particulièrement étonnant. Bien qu’une certaine littérature de vulgarisation bien-pensante se moque des liens entre QI et taille du crâne ou du cerveau, renvoyant cela à un héritage tardif de la défunte phrénologie, ces liens sont en fait observés de longue date. Les corrélations sont modestes et s’établissent entre .10 et .40 selon les travaux et les mesures (du périmètre de la tête à la volumétrie 3D du cerveau par IRM). Plus tôt dans l'année, une étude de cohorte a d’ailleurs trouvé une corrélation entre capacité cognitive et circonférence crânienne (Cornelius et al. 2008), tandis qu’un précédent travail, longitudinal, avait montré le caractère prédictif de ce facteur à la naissance pour l’intelligence des enfants mesurée à 4 et 8 ans (Gale 2006).
Référence :
V. Leeuwena M et al. (2008), A genetic analysis of brain volumes and IQ in children, Intelligence, online pub, doi:10.1016/j.intell.2008.10.005.
A dire vrai, ce résultat n’est pas particulièrement étonnant. Bien qu’une certaine littérature de vulgarisation bien-pensante se moque des liens entre QI et taille du crâne ou du cerveau, renvoyant cela à un héritage tardif de la défunte phrénologie, ces liens sont en fait observés de longue date. Les corrélations sont modestes et s’établissent entre .10 et .40 selon les travaux et les mesures (du périmètre de la tête à la volumétrie 3D du cerveau par IRM). Plus tôt dans l'année, une étude de cohorte a d’ailleurs trouvé une corrélation entre capacité cognitive et circonférence crânienne (Cornelius et al. 2008), tandis qu’un précédent travail, longitudinal, avait montré le caractère prédictif de ce facteur à la naissance pour l’intelligence des enfants mesurée à 4 et 8 ans (Gale 2006).
Référence :
V. Leeuwena M et al. (2008), A genetic analysis of brain volumes and IQ in children, Intelligence, online pub, doi:10.1016/j.intell.2008.10.005.
5.12.08
Toucher rectal sur bébé suspect et autres postures
Sur son blog Famille je vous haime (ah ah), Serge Hefez écrit : "Il est sans doute possible de détecter in-utero les gènes de la graine de violence chez le fœtus. Dans ce cas, deux gendarmes devront obligatoirement être présents lors de l’accouchement avec un mandat d’arrêt, menotter le nouveau-né, lui faire une fouille au corps avec toucher rectal (c’est plus simple, il est déjà tout nu) avant de l’emmener chez un juge d’instruction qui lui signifiera immédiatement la trajectoire de soins à laquelle il devra se plier."
Genre de saillie pas drôle, et si facile, et si convenue, et si fluide dans l'air du temps, si bien orientée dans le sens de la petite tignasse forcément innocente de l'enfant, de ses parents terriblement impuissants et des experts nécessairement compatissants. Que l'on foute la paix aux enfants, que l'on cesse tout contrôle social, politique, médical, éducatif sur leur petite personne, que tout cela reste du domaine des familles ? OK, très volontiers, mais que la corporation des pédopsychiatres (à laquelle Hefez cotise, outre la secte psychanalytique) s'autodissolve ce soir. Que l'on considère l'enfant comme individu potentiel à problème (pour lui, pour les autres) parmi bien d'autres, OK à nouveau, mais il faut arrêter ces poujaderies bien-pensantes, analyser et expliciter clairement les problèmes concernés, identifier scientifiquement et médicalement leurs sources (y compris génétiques). Le reste, c'est du ricanement jaune et du clignement d'oeil, la petite danse sans conséquence du dernier homme.
Genre de saillie pas drôle, et si facile, et si convenue, et si fluide dans l'air du temps, si bien orientée dans le sens de la petite tignasse forcément innocente de l'enfant, de ses parents terriblement impuissants et des experts nécessairement compatissants. Que l'on foute la paix aux enfants, que l'on cesse tout contrôle social, politique, médical, éducatif sur leur petite personne, que tout cela reste du domaine des familles ? OK, très volontiers, mais que la corporation des pédopsychiatres (à laquelle Hefez cotise, outre la secte psychanalytique) s'autodissolve ce soir. Que l'on considère l'enfant comme individu potentiel à problème (pour lui, pour les autres) parmi bien d'autres, OK à nouveau, mais il faut arrêter ces poujaderies bien-pensantes, analyser et expliciter clairement les problèmes concernés, identifier scientifiquement et médicalement leurs sources (y compris génétiques). Le reste, c'est du ricanement jaune et du clignement d'oeil, la petite danse sans conséquence du dernier homme.
L'euthanasie : droit-liberté ou droit-créance ?
Louis Puybasset dans Le Figaro ou Jean Leonetti dans Le Monde s’opposent à l’idée d’euthanasie en la présentant tous deux comme un « droit-créance » de l’individu opposable à la société en général, au corps médical en particulier. Rappelons que le droit-créance se distingue du droit-liberté au sens où les premiers exigent une action de l’Etat (de la société) alors que les seconds se traduisent plutôt par une abstention du même Etat. La réunion, la manifestation ou l’expression sont des droits-liberté car l’Etat doit simplement s’abstenir de les entraver et les interdire. Le logement, le soin ou l’éducation sont des droits-créance car l’Etat devrait agir pour les rendre accessibles à chaque individu, cette action ayant notamment un coût pour les autres individus.
L’euthanasie est-elle un droit-créance ? On peut en douter. Au sens large, celle-ci désigne la liberté pour tout individu de choisir et d’organiser les conditions de sa mort – sans même qu’une maladie incurable ou une souffrance insupportable soient en jeu, même si le débat récent s’est cristallisé sur cette condition. Rien dans cette disposition n’implique l’intervention active de l’Etat : un médecin, une infirmière, un proche peut administrer une substance létale sans le moindre engagement de l’Etat ni le moindre coût social. Les opposants de l’euthanasie sont souvent d’ardents défenseurs de l’accompagnement et des soins palliatifs (voir par exemple le site de la SFAP). On peut s’interroger sur leur cohérence philosophique : ces soins palliatifs peuvent parfaitement être décrits comme un droit-créance de l’individu opposable à l’Etat et la société (à travers l’assistance et l’hospitalisation publiques). Pourquoi ce qui serait inacceptable ici serait formidable là ? Je conçois très bien que l’on s’oppose à l’euthanasie pour des raisons religieuses, morales ou simplement prudentielles. Mais je doute que nier l’euthanasie comme liberté individuelle ait un sens.
L’euthanasie est-elle un droit-créance ? On peut en douter. Au sens large, celle-ci désigne la liberté pour tout individu de choisir et d’organiser les conditions de sa mort – sans même qu’une maladie incurable ou une souffrance insupportable soient en jeu, même si le débat récent s’est cristallisé sur cette condition. Rien dans cette disposition n’implique l’intervention active de l’Etat : un médecin, une infirmière, un proche peut administrer une substance létale sans le moindre engagement de l’Etat ni le moindre coût social. Les opposants de l’euthanasie sont souvent d’ardents défenseurs de l’accompagnement et des soins palliatifs (voir par exemple le site de la SFAP). On peut s’interroger sur leur cohérence philosophique : ces soins palliatifs peuvent parfaitement être décrits comme un droit-créance de l’individu opposable à l’Etat et la société (à travers l’assistance et l’hospitalisation publiques). Pourquoi ce qui serait inacceptable ici serait formidable là ? Je conçois très bien que l’on s’oppose à l’euthanasie pour des raisons religieuses, morales ou simplement prudentielles. Mais je doute que nier l’euthanasie comme liberté individuelle ait un sens.
4.12.08
Vieux monsieur riche cherche jeune fille aimable
Linda Gustavsson et Jörgen I. Johnsson ont examiné 400 annonces matrimoniales, publiées sur des journaux ou des sites suédois entre novembre 2006 et février 2007, par des hétérosexuels âgés de 20 à 79 ans. Ils ont analysé l’attractivité physique (décrite pour soi ou souhaitée chez l’âme sœur), les ressources économiques (idem) et l’âge (idem). Il en ressort que les hommes des catégories 20-39 ans, 40-59 ans et 60-79 ans tendent en moyenne à chercher des partenaires plus jeunes qu’eux, surtout chez les 40-59 ans. Les femmes, de leur côté, précisent plus volontiers qu’elles acceptent des partenaires plus âgés. 55 % des hommes évoquent leurs ressources dans l’annonce, contre 23 % des femmes, ; mais 40 % des femmes stipulent que la question des ressources (du partenaire) entre en ligne de compte dans leur choix contre 15 % seulement des hommes. Du côté de l’attractivité physique, on n’observe pas de différence notable entre les sexes. Deux prédictions darwiniennes sur trois sont donc confirmées par ce travail : que les mâles tendent à chercher des partenaires plus jeunes que ne le font les femelles ; que les ressources ou le statut intéressent plus les femelles que les mâles. En revanche, l’importance plus grande conférée à la beauté physique du futur partenaire par les hommes que par les femmes ne se retrouve pas dans le travail. Les auteurs suggèrent que la place croissante du « look » dans nos sociétés pourrait égaliser les attentes psychologiques en ce domaine. Les vieux riches ont donc intérêt à être aussi des vieux beaux...
Référence :
Gustavsson L. et J.L. Johnsson (2008), Mixed support for sexual selection theories of mate preferences in the Swedish population, Evolutionary Psychology, 6, 4, 575-585. (Texte téléchargeable ici, pdf, anglais).
Référence :
Gustavsson L. et J.L. Johnsson (2008), Mixed support for sexual selection theories of mate preferences in the Swedish population, Evolutionary Psychology, 6, 4, 575-585. (Texte téléchargeable ici, pdf, anglais).
3.12.08
Le fast-food donne l’Alzheimer
Avec un titre pareil, je vais sûrement augmenter la fréquentation de mon site. C’est une traduction (un peu exagérée, mais à peine) du titre d'un communiqué de presse, lequel signale en fait une thèse suédoise (de Susanne Akterin) sur des souris génétiquement modifiées par transfection d'un homologue du gène humain apoE4, souris dont un régime riche en graisse et cholestérol (pas propre au fast-food, NDT) provoque dans le cerveau rongeur des surproductions de groupes phosphate, lesquels sont liés aux dégénérescences fibrillaires de la protéine tau, que l’on retrouve, voyez-vous, dans certains symptômes des démences de type Alzheimer. Cela ne vous dit rien ? Alors répétez simplement pour vous souvenir : le fast-food donne l’Alzheimer, le fast-food donne l’Alzheimer, le fast-food donne l’Alzheimer…
Observatoire des pratiques médicales de la fin de vie
Nouvelle de France : la mission parlementaire Leonetti – du nom d’un parlementaire ayant proposé avec succès, voici trois ans, une loi officielle sur la mort autorisée excluant euthanasie, suicide assisté et autres options – préconise aujourd’hui la création d’un Observatoire des pratiques médicales de la fin de vie. Votons d’abord, observons ensuite, ce doit être la logique post-cartésienne de l'Hexagone en phase palliative.
2.12.08
Faut-il réserver le dimanche à la préparation des suicides ?
On parle beaucoup du travail dominical ces temps-ci, et le cardinal Barbarin s’y colle ce jour dans Le Monde. L’archevêque de Lyon nous dit : «Les révolutionnaires, lorsqu'ils avaient voulu éradiquer la religion et réformer le calendrier, avaient tout de même inventé le "décadi", sachant bien que l'équilibre de l'homme et le lien social appellent un repos régulier et commun.» Cela m’amuse toujours, ces généralités sur l’homme, le lien social, le repos, l’équilibre, le tout versé depuis un savoir puisé par le primat des Gaules à la source sûre des saintes écritures. L’évolution n’a pas vraiment prévu que les animaux s’arrêtent de manger – donc de dépenser de l’énergie pour trouver des ressources – une journée par semaine. Et dans les sociétés paysannes, autrement riches en «lien social» que les nôtres, les animaux comme les végétaux ne cessent pas miraculeusement de demander soin et culture le dimanche, ni le décadi. Cela dit, je n’ai guère d’opinion sur le repos dominical – je sais simplement à titre personnel que le dimanche est le jour où je travaille le mieux car on m’importune moins au téléphone ; que voir les familles désoeuvrées déambuler en jogging flasques et poussettes agressives devant des commerces fermés me déprime plus qu’autre chose ; que la construction du «week-end» comme moment social de détente obligatoire des masses laborieuses, où tout le monde « s’éclate » à l’unisson, m’atterre particulièrement. Je me demande surtout pourquoi les Français, au lieu de se diviser sur cette enième loi particulière de gestion de leur activité quotidienne, ne s’unissent pas pour les abolir toutes. Comme ils pourraient parfaitement s’unir ensuite, entreprise par entreprise, pour éviter d’être contraints à travailler tel jour de la semaine s’ils ne le désirent pas.
PS : concernant le titre de ce post, il semble que le jour préféré de suicide est le lundi (voir par exemple Maldonado 1991, Erazo 2004 ou Johnson 2005). Je suppose que le dimanche achève de peser sur les décisions...
PS : concernant le titre de ce post, il semble que le jour préféré de suicide est le lundi (voir par exemple Maldonado 1991, Erazo 2004 ou Johnson 2005). Je suppose que le dimanche achève de peser sur les décisions...
Lire Duvert
Je lis beaucoup de choses belles et intéressantes en ce moment chez Tony Duvert, un auteur mort récemment, ayant pour double singularité d’être un remarquable styliste et un pédophile assumé. Dans un passage du Journal d’un innocent, j’ai en mémoire cette réflexion : quand ils ne disent pas qu’elle est moralement condamnable, les bonnes gens affirment que la pornographie est esthétiquement nulle car c’est « toujours la même chose ». À quoi Duvert (ou le narrateur) répondait que le sport, la politique, l’économie, etc., c’est tout autant « toujours la même chose », et que seul un préjugé implicite suggère qu’il est intrinsèquement ennuyeux de contempler en détail les petites différences de deux sexes ou de deux coïts, alors que regarder avec la même minutie deux matchs de football ou deux débats du Parti socialiste serait suprêmement gratifiant pour le goût et l’esprit.
Mais c’est surtout cette page de L’enfant au masculin qui reflète admirablement mon point de vue – et, ai-je la faiblesse de croire, celui de la liberté des individus –, page que je me permets de citer ici longuement. En vous enjoignant vivement de prendre connaissance de cet auteur, si ce n’est déjà fait (toutes ses œuvres sont chez Minuit, en lien ci-dessus). Lire Duvert est une expérience absolument étonnante. Et rassérénante, à l’heure où la meute compacte des culs-serrés, cœurs-fragiles et cerveaux-mous se remet à aboyer son besoin de conformisme social et de rigorisme moral.
« La liberté sexuelle ne consiste pas dans l’élaboration et la diffusion d’un ‘bon’ standard de désir, mais au contraire dans la suppression de tout standard. Il ne s'agit pas d'un devoir d'émancipation personnelle (‘libérez, épanouissez votre sexe !...’) mais d'un ensemble de libertés publiques. On entretient — délibérément ? — une confusion entre les deux notions, et on nous arrose de recettes individuelles de bonheur sexuel là où le problème est d'institutions, de droit et de culture. On veut nous dicter de nouvelles normalisations là où la liberté implique l'abolition de toutes normes.
Falsification. Et dérision. À l'échelle individuelle, il est entièrement indifférent que tel homme ait l'érotisme le plus endormi, l'autre le plus saugrenu, tel autre le plus vaste ; qu'on ait dix mille amants des deux sexes et de tous les âges, ou qu'on en ait un seul ; qu’on vive pour faire l'amour, ou qu'on meure vierge ; que le corps humain vous éblouisse, ou qu'il vous ratatine de dégoût et de haine.
Car, si aucune instance collective ne reprend à son compte l'un de ces comportements pour l'universaliser, aucun n'est mauvais, aucun n'est nuisible. Si chaque choix a pour source non un endoctrinement, une oppression, mais les événements et les caprices de votre histoire personnelle, les constantes et les tropismes de votre corps, chacun de ces choix est à respecter et à tenir pour viable.
La liberté en amour n'est donc acquise qu'au moment où aucune forme de sexualité n'a le pouvoir de régner sur les autres et de les modeler à son image : et je parle ici du règne par l'Etat, et non des séductions auxquelles on a plaisir à succomber.
Le but de la libération sexuelle n'est pas que tout le monde fasse ou puisse faire l'amour avec tout le monde : mais que l’Etat, ses structures, ses lois s'interdisent tout regard sur les vies privées, quelque âge, quelque sexe, quelques goûts que l'on ait. Les sexualités ne sont pas du ressort de la morale publique : voila le seul principe qu'il s'agit d'instaurer. Nous sommes, je le sais bien, à des années-lumière de cette liberté-là ; je doute si nous la connaîtrons jamais.
Par ailleurs, les relations sexuelles n'ont besoin d'aucune morale spécifique. Les principes qui régissent nos autres interactions, notre coexistence, et qui définissent les limites des libertés de chacun, suffisent absolument à gouverner les actes amoureux.
Ni violence, ni contrainte, ni domination, ni propriété sur autrui : voila les seuls devoirs auxquels nos actes sexuels, comme tous les autres, ont à se plier ».
Mais c’est surtout cette page de L’enfant au masculin qui reflète admirablement mon point de vue – et, ai-je la faiblesse de croire, celui de la liberté des individus –, page que je me permets de citer ici longuement. En vous enjoignant vivement de prendre connaissance de cet auteur, si ce n’est déjà fait (toutes ses œuvres sont chez Minuit, en lien ci-dessus). Lire Duvert est une expérience absolument étonnante. Et rassérénante, à l’heure où la meute compacte des culs-serrés, cœurs-fragiles et cerveaux-mous se remet à aboyer son besoin de conformisme social et de rigorisme moral.
« La liberté sexuelle ne consiste pas dans l’élaboration et la diffusion d’un ‘bon’ standard de désir, mais au contraire dans la suppression de tout standard. Il ne s'agit pas d'un devoir d'émancipation personnelle (‘libérez, épanouissez votre sexe !...’) mais d'un ensemble de libertés publiques. On entretient — délibérément ? — une confusion entre les deux notions, et on nous arrose de recettes individuelles de bonheur sexuel là où le problème est d'institutions, de droit et de culture. On veut nous dicter de nouvelles normalisations là où la liberté implique l'abolition de toutes normes.
Falsification. Et dérision. À l'échelle individuelle, il est entièrement indifférent que tel homme ait l'érotisme le plus endormi, l'autre le plus saugrenu, tel autre le plus vaste ; qu'on ait dix mille amants des deux sexes et de tous les âges, ou qu'on en ait un seul ; qu’on vive pour faire l'amour, ou qu'on meure vierge ; que le corps humain vous éblouisse, ou qu'il vous ratatine de dégoût et de haine.
Car, si aucune instance collective ne reprend à son compte l'un de ces comportements pour l'universaliser, aucun n'est mauvais, aucun n'est nuisible. Si chaque choix a pour source non un endoctrinement, une oppression, mais les événements et les caprices de votre histoire personnelle, les constantes et les tropismes de votre corps, chacun de ces choix est à respecter et à tenir pour viable.
La liberté en amour n'est donc acquise qu'au moment où aucune forme de sexualité n'a le pouvoir de régner sur les autres et de les modeler à son image : et je parle ici du règne par l'Etat, et non des séductions auxquelles on a plaisir à succomber.
Le but de la libération sexuelle n'est pas que tout le monde fasse ou puisse faire l'amour avec tout le monde : mais que l’Etat, ses structures, ses lois s'interdisent tout regard sur les vies privées, quelque âge, quelque sexe, quelques goûts que l'on ait. Les sexualités ne sont pas du ressort de la morale publique : voila le seul principe qu'il s'agit d'instaurer. Nous sommes, je le sais bien, à des années-lumière de cette liberté-là ; je doute si nous la connaîtrons jamais.
Par ailleurs, les relations sexuelles n'ont besoin d'aucune morale spécifique. Les principes qui régissent nos autres interactions, notre coexistence, et qui définissent les limites des libertés de chacun, suffisent absolument à gouverner les actes amoureux.
Ni violence, ni contrainte, ni domination, ni propriété sur autrui : voila les seuls devoirs auxquels nos actes sexuels, comme tous les autres, ont à se plier ».
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