17.9.08

L'Eglise face à Darwin

Gianfranco Ravasi, président du Conseil pour la culture du Vatican, a animé une conférence de presse présentant le futur Congrès international sur l'évolution biologique (« Faits et hypothèses. Une évaluation des recherches depuis les travaux de Charles Darwin »), qui se tiendra à Rome du 3 au 7 mars 2009, à l’occasion du 150e anniversaire de L’origine des espèces (et de 200e anniversaire de la naissance de Darwin). Ravasi a signalé à cette occasion que l’Église n’entendait pas exprimer de regret ou d’excuses à propos de ses positions sur l’évolution, soulignant que les théories de Darwin « n’ont jamais été condamnées par l’Église, ni ses livres interdits ».

L’Église n’a en fait admis que progressivement la théorie de l’évolution et, comme nous allons le voir, avec des réserves qui limitent sérieusement la portée de cette acceptation. En 1909, la Commission pontificale biblique approuvée par Pie X pose que l’on ne peut douter de « la création de toutes choses par Dieu au commencement du temps ; la création spéciale de l’homme ; la formation de la première femme à partir du premier homme… ». Le 12 août 1950, Pie XII publie l’encyclique Humani Generis. Il y est surtout questions des « erreurs philosophiques » présumées de l’époque (marxisme, existentialisme, etc.) mais on voit vers la fin poindre les sciences : « Il nous reste à dire un mot des sciences qu'on dit positives, mais qui sont plus ou moins connexes avec les vérités de la foi chrétienne. » (sic). Pie XII précise que l’Église peut tout à fait tenir compte des faits certifiés, et même des hypothèses, mais que « cela ne doit être accepté qu'avec précaution, dès qu'il s'agit bien plutôt d' ‘hypothèses’ qui, même si elles trouvent quelque appui dans la science humaine, touchent à la doctrine contenue dans la Sainte Ecriture et la ‘Tradition’. Dans le cas où de telles vues conjecturales s'opposeraient directement ou indirectement à la doctrine révélée par Dieu, une requête de ce genre ne pourrait absolument pas être admise. » Une conjecture opposée à la doctrine de Dieu ne peut donc être admise… ce qui n’est évidemment pas tout à fait la procédure logique et empirique de la raison.

Sur l’évolution même, Pie XII affirme : « C'est pourquoi le magistère de l'Église n'interdit pas que la doctrine de l' ‘évolution’, dans la mesure où elle recherche l'origine du corps humain à partir d'une matière déjà existante et vivante - car la foi catholique nous ordonne de maintenir la création immédiate des âmes par Dieu - soit l'objet, dans l'état actuel des sciences et de la théologie d'enquêtes et de débats entre les savants de l'un et de l'autre partis : il faut pourtant que les raisons de chaque opinion, celle des partisans comme celle des adversaires, soient pesées et jugées avec le sérieux, la modération et la retenue qui s'imposent ; à cette condition que tous soient prêts à se soumettre au jugement de l'Église à qui le mandat a été confié par le Christ d'interpréter avec autorité les Saintes Ecritures et de protéger les dogmes de la foi. Cette liberté de discussion, certains cependant la violent trop témérairement : ne se comportent-ils pas comme si l'origine du corps humain à partir d'une matière déjà existante et vivante était à cette heure absolument certaine et pleinement démontrée par les indices jusqu'ici découverts et parce que le raisonnement en a déduit ; et comme si rien dans les sources de la révélation divine n'imposait sur ce point la plus grande prudence et la plus grande modération. »

Donc, pas d’objection de principe à ce que le corps humain soit issu de l’évolution biologique, à condition de conserver la création des âmes à Dieu. Mais juste après, mettant en garde contre le polygénisme, Pie XII précise : « quand il s'agit d'une autre vue conjecturale qu'on appelle le polygénisme, les fils de l'Église ne jouissent plus du tout de la même liberté. Les fidèles en effet ne peuvent pas adopter une théorie dont les tenants affirment ou bien qu'après Adam il y a eu sur la terre de véritables hommes qui ne descendaient pas de lui comme du premier père commun par génération naturelle, ou bien qu'Adam désigne tout l'ensemble des innombrables premiers pères. En effet on ne voit absolument pas comment pareille affirmation peut s'accorder avec ce que les sources de la vérité révélée et les Actes du magistère de l'Église enseignent sur le péché originel, lequel procède d'un péché réellement commis par une seule personne Adam et, transmis à tous par génération, se trouve en chacun comme sien ».

Ainsi, on peut croire à l’évolution des corps humains par sélection naturelle, mais il faut tout de même qu’il y ait eu un seul véritable Adam, ancêtre de tous les hommes actuels. Vu ce que l’on connaît de la biologie des populations, c’est assez improbable : une espèce ne naît pas d’un couple qui s’isole reproductivement, mais de petites populations qui divergent graduellement.

Plus récemment, Jean-Paul II est revenu sur la question de l’évolution dans un message à l’Académie pontificale des sciences, le 22 octobre 1996. Il rappelle le texte de Pie XII et ré-affirme « qu’il n’y a pas de conflit entre l’évolution et la doctrine de la foi regardant l’homme et sa vocation » et précise même que « de nouvelles découvertes nous mènent à la reconnaître l’évolution comme étant plus qu’une hypothèse ». Il ajoute cependant : « plutôt que de parler de théorie de l’évolution, il est plus exact de parler de théories de l’évolution. L’utilisation du pluriel est requise ici – en partie du fait de la pluralité des explications regardant le mécanisme de l’évolution, et en partie à cause de la diversité des philosophies impliquées. Il y a des théories matérialistes et réductionnistes, aussi bien que spiritualistes. Ici, le jugement final est dans la compétence de la philosophie et, au-delà, de la théologie ». On se demande à quoi ressemble une théorie spiritualiste de l’évolution dans le domaine scientifique…

Jean-Paul II précise plus loin : « Pie XII a souligné le point essentiel : si l’origine du corps humain vient de la matière vivante, l’âme spirituelle est directement créée par Dieu (…) Les théories de l’évolution qui, en raison des philosophies qui les inspirent, regarde l’esprit comme émergeant des forces de la matière ou comme un simple épiphénomène de cette matière sont incompatibles avec la vérité sur l’homme. Elles sont dès lors incapables de servir de base pour la dignité de la personne humaine ».

Quant au cardinal Ratzinger, l’actuel Benoît XVI, il avait suggéré dans son livre In the Beginning: A Catholic Understanding of the Story of Creation and the Fall (1986) que la création et l’évolution désignent des « réalités complémentaires » : l’évolution analyse le développement biologique, mais « ne peut expliquer d’où le vient le ‘projet’ des personnes humaines, ni leur origine intérieure, ni leur nature particulière ». Présenter la nature humaine comme un « projet » ou un « dessein » est évidemment le contraire des conclusions de la théorie scientifique de l’évolution, tout entière fondée sur l’absence de dessein dans la transformation des espèces.

En conclusion, on voit que l’acceptation de la théorie de l’évolution par les autorités de l’Église est loin d’être acquise. Elle est tolérée du bout des lèvres à la condition d’une stricte division entre évolution des corps (matérielle) et évolutions des esprits (immatérielle), avec en arrière-plan l’idée de dessein concernant l’espèce humaine. Ces réserves ne correspondent nullement aux conclusions actuelles de la science.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Et le mélange des deux (église et évolution) donne l"inteligent design" non ?
Une théorie qui essaye d'inclure l'évolutionisme tout en gardant la paternité de l'âme à un être supérieur.

Note trés interessante en tout cas.

C. a dit…

Le créationnisme a surtout été populaire dans les milieux protestants nord-américains, dont certaines sectes sont portées à une interprétation littérale de la Bible (ce que le catholicisme a refusé depuis un certain temps au profit de l’herméneutique, ie l’interprétation, sur laquelle Benoît XVI insistait au collège des Bernardins). Enonçant des énormités peu crédibles, le créationnisme historique a été dépassé à partir des années 1980 par le courant de l’Intelligent Design. On y retrouve en effet l’idée qu’une partie de la vie ne pourrait être expliquée par les variations aléatoires ou adaptatives de l’évolution darwinienne, qu’il existe une « complexité irréductible » du vivant (Behe) dont l’auto-émergence serait impossible, ou une « complexité spécifiée » (Demsky) dans la transmission de l’information par l’ADN ne pouvant survenir par hasard. Au-delà de la biologie, l’ID voit dans le « règlage initial » des constantes de l’Univers permettant ultérieurement la vie et l’homme (version forte du principe anthropique) le signe d’un dessein. Quand ce n'est pas métaphysique, tout cela est scientifiquement faible ou nul. On en parle beaucoup en raison des pressions de lobbies chrétiens pour enseigner la création et l’évolution comme deux hypothèses de même nature dans les écoles publiques américaines. Je ne suis pas « outré » par ce débat très politique, dont on exagère l’importance à mon sens. Pourquoi ne pas mentionner l’ID en cours de sciences nat’ si l’on consacre bien sûr un temps proportionnel à sa productivité scientifique (c’est-à-dire environ 5 minutes pour signaler l’hypothèse de l’ID, et tout le reste de l’année pour développer la théorie de l’évolution). Ce peut être l’occasion d’enseigner aux lycéens les vertus et les limites du scepticisme dans le domaine scientifique (vertus car il faut toujours douter, questionner et critiquer, limites car la remise en cause doit être fondée sur des observations décisives et des argumentations étayées).

Anonyme a dit…

Qu'un mammouth devienne un éléphant, je peux le concevoir. Mais qu'un mammouth devienne une souris, ce n'est pas si simple à comprendre d'autant plus que les éléphants existent. Surtout les éléphants roses. Et les bleus. Des scientifiques ne croient pas à la théorie de Darwin mais à celle des paliers. Moi je ne sais pas.

C. a dit…

(anonyme) Aucun mammouth n'est devenu un éléphant. Mais il existait des éléphantidés d'un mètre de hauteur sur certaines îles, voici bien longtemps. La difficulté à concevoir vient que l'on projette les conditions présentes (ce que l'on en sait du moins, il y a des millions d'espèces dont la plupart inconnues), sans tenir compte du facteur temps. Si une population de souris produit une population d'éléphants en trois générations, Darwin a sans doute tort, ou du moins il existe des mécanismes puissants et inconnus à côté de la sélection adaptative. Mais justement, on n'a jamais retrouvé dans les archives fossiles ce genre de bonds prodigieux. Et quand on a beaucoup cherché, comme pour les ancêtres de l'homme ou des équidés, on a bel et bien trouvé toutes sortes de formes intermédiaires étalées sur quelques millions / dizaines de millions d'années. Vous avez du mal à concevoir qu'un protochimpanzé devienne brusquement un homme. Mais quand vous voyez des séries de squelettes d'australopithèque, de sahelanthrope, d'orrorin, d'ardipithèque, et diverses espèces Homo jusqu'aux H sapiens, vous observez des formes intermédiaires dont certaines ont fini en cul de sac et d'autres non, vous concevez mieux la radiation évolutive et le gradualisme adaptatif.

Anonyme a dit…

Un mammouth peut devenir un supermarché, c'est déjà ça.

Par ailleurs, en décembre 2005, une équipe de chercheurs allemands, britanniques et américains a réussi à obtenir de l'ADN mitochondrial de mammouth, ce qui a permis de mettre en évidence la relation étroite entre le mammouth et l'éléphant d'Asie. Il semble que les éléphants d'Afrique appartiennent à une branche différente du mammouth, dont la lignée se serait séparée il y a environ 6 millions d'années, à l'époque où par ailleurs on assistait à la séparation entre gorilles, chimpanzés et êtres humains.