23.2.08

Mutations linguistiques

Mark Pagel et ses collègues ont reconstruit un arbre phylogénétique des langues humaines, avec trois grands groupes : indo-européen, bantou et austronésien. Le dernier ensemble a inclus le sous-groupe polynésien, connu comme divergence plus récente due à la colonisation des archipels.

Les chercheurs ont examiné la divergence de ces lignées linguistiques : dans l’hypothèse d’une évolution lente et graduelle, chaque rameau devrait avoir à peu près la même distance d’avec le tronc commun (la distance étant ici mesurée par les changements lexicaux entre chaque groupe). Or, comme le montre le graphique, il n’en est rien (A. arbre des langues et nœuds de divergence, points rouge ; B. Divergences depuis le tronc commun des langues bantous (orange), indo-européennes (bleu), austronésienne (vert), polynésiennes (pourpre) ; C. Quantification des divergences, avec en comparaison la divergence moyenne des gènes entre deux espèces biologiques, jaune).

Ainsi, selon les ensembles considérés, 9,5 à 31 % des différences observées proviennent d’un changement évolutif brutal plutôt que graduel, soit une version linguistique de l’hypothèse des « équilibres ponctués » (c’est-à-dire : une nouvelle branche se forme avec un changement rapide de son contenu lexical et syntaxique, puis elle évolue plus lentement vers l’équilibre). On sait depuis les travaux classiques de Luca Cavalli-Sforza (1996, 2005) que les arbres généalogiques des gènes et des langues se superposent, c’est-à-dire que les différenciations biologique et linguistique se sont mutuellement entretenues au cours de l’évolution humaine. Comme le concluent les auteurs, « le changement ponctuationnel de langage peut refléter la capacité humaine à ajuster rapidement ses langues à des moments critiques de son évolution culturelle, comme lors de l’émergence de groupes nouveaux et rivaux ».

Loin d’être un long fleuve tranquille, l’évolution de l’espèce Homo sapiens apparaît ainsi comme une succession de mutations bioculturelles à effet relativement rapide par rapport au rythme habituel du vivant.

Références :
Atkinson Q.D. et al. (2008), Languages evolve in punctuational bursts, Science, 319, 5863, 588.
Cavalli-Sforza L. (1996), Gènes, peuples et langues, Odile Jacob / Collège de France, Paris.
Cavalli-Sforza L. (2005), Evolution biologique, évolution culturelle, Odile Jacob, Paris.

Illustration : Atikinson 2008.

Aucun commentaire: