1.11.08

La mort leur va si bien

Dans Le Monde, Robert Redeker (philosophe) évoque une possible disparition de la mort. « Il n'est pas dit que nos arrière-petits-neveux prendront, comme nous, le chemin du cimetière à chaque Toussaint. L'évolution des biotechnologies pourrait mettre la mort en danger. Très bientôt l'espérance de vie aura doublé par rapport à ce qu'elle était au début du XXe siècle. La possibilité d'une existence humaine indéfiniment prolongée se dessine à l'horizon. En s'appuyant sur les promesses des cellules souches, sur la régénération, sur la cryonie et sur les transplantations d'organes, certains envisagent même, à terme, la mort de la mort. (…) La vieillesse est ainsi en train de phagocyter la jeunesse. Combien de femmes quinquas redeviennent des poupées Barbie ? Combien de grands-pères travaillent leur apparence pour conserver un look de trentenaires ? Pourtant, si la bio-utopie immortaliste se réalise, le résultat sera bien plus radical : la vieillesse aura fait disparaître la jeunesse. Le signe distinctif de la jeunesse : l'avenir. Le signe distinctif de la vieillesse : le passé. Or la particularité des vieillards aux visages juvéniles qui peupleront la Terre une fois que la mort aura disparu s'exprimera ainsi : n'avoir ni passé (du fait de la régénération) ni avenir (du fait de la disparition de la mort). Un humain ignorant de la mort, est-ce encore un homme ? Il ne connaîtra pas le temps. Sans le surplomb de la mort, l'avancée de la rouille, la morsure de la précarité de l'existence, le temps n'est plus sensible, il n'est plus que chiffre. Or, comme la sensation du temps qui passe fabrique l'étoffe de notre vie intérieure, l'humain ignorant de la mort court le risque de n'être qu'une machine vivante sans âme, désanimée. La philosophie nous l'enseigne : l'homme est l'être-pour-la-mort, le vivant tire son être de son rapport à la mort. (…) Le recueillement de la Toussaint - dernier avatar de ce culte des morts dont chacun sait qu'il est signe d'humanité - nous rappelle que pour rester des hommes nous devons protéger la mort autant que la vie, assumer le défi de notre mortalité. La disparition de la mort serait en effet la vraie mort de l'homme.»

Redeker est un philosophe qui connût son heure de gloire lorsqu’il publia dans Le Figaro une tribune intellectuellement consternante contre l’islam – «Face aux intimidations islamistes, que doit faire le monde libre ?» (19 septembre 2006) – tribune essayant de faire croire que l’islam seul exalte haine et violence dans ses textes sacrés, et lavant ses antécédents juifs et chrétiens, puis leur sécularisation occidentale, de tout soupçon. Cette tribune lui avait valu des menaces de mort d’excités islamistes, réaction prévisible et encore plus affligeante, mais donnant finalement une bonne image des rapports humains vus à travers le prisme dogmatique de croyances monothéistes. En ce jour de Toussaint, le voici donc qui revient nous faire la retape pour la mort. Sympathique intention. Son propos repose sur deux piliers : la science peut nous rendre immortels ; l’homme est l’être-pour-la-mort dont l’existence prend sens dans une temporalité finie. Le premier point relève pour le moment de la science-fiction, pas de la science. Les projets les plus ouvertement orientés vers une prolongation indéfinie de l’existence humaine (et les plus réalistes), comme SENS d’Aubrey de Grey, n’ont nullement fait leur preuve de concept. Allonger l’espérance de vie d’un ver nématode ou d’une souris ne signifie pas rendre l’homme immortel. Gagner 10, 30 ou 50 ans d’espérance de vie en bonne santé serait déjà un exploit extraordinaire dans l’horizon prévisible de la biomédecine. Et sur son horizon plus lointain, on peut dire tout et n’importe quoi, c’est-à-dire faire de la fiction. Se livrer à cet exercice est utile à des fins édifiantes, mais le ton des prophètes (de malheur ou de bonheur) s’accorde mal à celui de la science.

En admettant à titre de fiction que l’homme parvienne à se régénérer perpétuellement, le propos de Redeker serait-il recevable ? Non. Il n’existe aucune raison particulière de faire de la conscience humaine de la mort une inférence nécrophile selon laquelle cette conscience serait éternellement condamnée à célébrer la mort comme sa condition. On observe d’ailleurs le contraire, comme Redeker s’en désole : une partie des humains s’engage dans une lutte ouverte contre leur faiblesse, leur déclin, leur disparition, et ils le font précisément en raison de leur conscience. On doit donc supposer que les certitudes morales, métaphysiques ou philosophiques d’un humain destinalement dédié à la mort demandent quelques amendements.

Illustration : Joel-Peter Wikin, Le Baiser, 1982. Tous droits réservés à la Galerie Baudouin Lebon.

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Dans quelques centaines d'années, ou plus tôt, soit on sera retourné au stade primitif, car tout aura sauté, soit on aura ENFIN compris que l'homme détient un corps astral, qui sort du corps physique au moment de la mort, et on aura ENFIN trouvé le moyen d'entrer en connexion avec les morts, ce qui fera perdre d'ailleurs beaucoup de charme au Père Lachaise, et qui fera perdre beaucoup de charme à la mort aussi et pertubera grandement la planète comme l'a très bien décrit Bernard Werber dans les thantonautes.

http://www.blogparanormal.com/parapsychologie/parapsychologie-entretien-avec-gregory-gutierez-auteur-du-livre-%C2%ABles-aventuriers-de-lesprit%C2%BB/

PS a dit…

même si je ne tiens pas particulièrement le quotidien haut dans mon cœur, je suis littéralement effarée que de telles débilités soient parues dans ses colonnes - c'est visiblement la crise quoi

Anonyme a dit…

Bonjour,
Entièrement d' accord avec vous. Allonger l’ espérance de vie et conférer à l’ homme la vie éternelle n’ est pas la même chose. Améliorer les conditions biologiques d’ homo sapiens vers un état plus désirable ( moins de maladies, une vie plus longue, …) n’ est pas choquant mais même souhaitable.
Enfin, vous avez mille fois raison de souligner que l’ immortalité relève pour le moment de la science-fiction. Et tant mieux. S’ agissant de l’ immortalité, l’ un des arguments valables, à mes yeux, contre une éventuelle éternité de l’homme tient dans la remarque de Woody Allen : « l’ éternité c’ est long, surtout vers la fin... « .
En outre, l' immortalité poserait le problème nécessaire du choix des générations d’ humains rendus immortels et de leur non remplacement. En effet, la fin de la mort rend nécessaire la fin des naissances sous peine de surpopulation.

Anonyme a dit…

Ce qui est rigolo quand on a des contacts avec l'au delà, c'est que la vie sur terre est une épreuve très dure en fait, et que c'est mille fois mieux de l'autre côté, donc non seulement l'humain pérénénise le cycle des naissances, mais maintenant il ne veut plus mourir! Je ne m'inquiète pas, car si nous vivions plus vieux, nous aurions aussi plus de sagesse sans doute, et plus de temps pour explorer des fréquences différentes. Mais disons que de mon point de vue, c'est très drôle ce genre d'article.

Armand Stroh a dit…

Michel V a dit :
"En outre, l' immortalité poserait le problème nécessaire du choix des générations d’ humains rendus immortels et de leur non remplacement. En effet, la fin de la mort rend nécessaire la fin des naissances sous peine de surpopulation."

Il faut bien sûr ici repenser la notion même d' "identité individuelle" telle que nous la pensons aujourd'hui :
Si les capacités techniques futures permettent de contrôler suffisamment le vivant et la connectivité de réseaux neuronaux ou équivalents pour assurer un renouvellement permanent de notre constitution biologique , de nos apprentissages tout en continuant "en conscience" à conserver - comme aujourd'hui déjà au travers des différents "stades" de notre vie - l' "identité numérique" de notre conscience personnelle , alors la frontière entre "moi" et les "autres" sera aussi beaucoup plus souple qu'aujourd'hui. Les "expériences subjectives " nouvelles de nos identités pourront être beaucoup plus fluides et modifiables , nous pourrons faire l' expérience "vécue" de fusions partielles de conscience avec les "autres" , etc. , de telle sorte qu'il n'y aura pas nécessairement une "compétition" entre ces existences conscientes , même s'il s'agit toujours de gérer des ressources matérielles et énergétiques collectives limitées ( encore que bien évidemment , il n'y a aucune raison de limiter a priori dans le futur ces ressources à notre actuelle planète Terre ):
Mais déjà aujourd'hui , chacun non seulement accepte facilement de "dormir" pendant un certain temps , mais trouve toutes sortes d' agréments possibles dans des états de semi-absence , de sommeil etc. , pendant lesquels d' autres peuvent utiliser les ressources de la vie éveillée .
Si nous avions l' "éternité" devant nous , nous ne serions chacun pas à ce point jaloux de notre "part" du gâteau , et beaucoup d' "esprits" choisiraient simplement de se "réveiller" de temps en temps pour voir si quelque chose de suffisamment intéressant et de nouveau s'est produit dans l' évolution de l'univers ou dans leurs anciennes "connaissances" , pour mériter leur nouvelle "attention consciente" ...
Bref , la garantie d'une vie "éternelle" ou d'une "resurrection" toujours à nouveau possible , nous rendrait sans doute beaucoup plus aptes à laisser à chaque expérience "autre" que celle que nous avons connue comme étant "nous-mêmes" , la possibilité de s' épanouir.