En regardant la nouvelle voiture de votre voisin, vous songez que sa couleur est décidément « criarde ». Pourtant, vous n’avez jamais entendu cette couleur crier. Eh bien, certaines personnes l’entendent bel et bien : leur cerveau est synesthésique.
La synesthésie désigne un trouble des perceptions sensorielles qui concerne un individu sur 25.000. Les cerveaux synesthésiques sont capables de percevoir simultanément plusieurs sensations, que celles-ci soient tactiles, auditives, visuelles, odorifères ou gustatives. Ils trouvent par exemple qu’une couleur a un son particulier ou qu’une musique dégage une saveur agréable. Des chercheurs de l’Intitut de Technologie de Californie, Melissa Saenz et Christof Koch, viennent juste de découvrir une nouvelle forme de synesthésie : des personnes qui entendent des sons lorsqu’ils observent des mouvements pourtant silencieux.
Ce don étrange est exprimé à travers certaines expressions de notre langage courant : une odeur violente, une expérience amère ou une musique suave, par exemple. Mais pour les synesthésiques, il ne s’agit pas d’une métaphore : leur cerveau produit ensemble des perceptions habituellement séparées. Nabokov, Kandinsky, Mondrian ou Rimbaud font partie des synesthésiques les plus célèbres. Le poète Arthur Rimbaud a ainsi éternisé ses capacités singulières dans le célèbre poème Voyelles, attribuant des couleurs à chaque voyelle de l’alphabet.
Pour comprendre la synesthésie, il faut se souvenir que le cerveau est un outil de traitement de l’information. Toutes les propriétés physiques du monde extérieur sont réduites en unités électrochimiques identiques véhiculées par les neurones : un son, une couleur ou une forme ne se distinguent donc que par les chemins empruntés dans notre cerveau. L’image qui frappe la rétine est par exemple envoyée l’aire V1 du cortex visuel primaire (dans le lobe occipital situé à l’arrière du crâne) ; cette information est ensuite décomposée par les aires associatives du même cortex visuel : les réseaux de neurones la transforment alors en couleur (aire V4), formes (aire V2), etc. Ces différents modules sont interconnectés et plus de 300 voies principales ont déjà été identifiées. De leur communication résulte une image globale intégrant la couleur, la forme, le relief, la perspective, la brillance, etc.
Dans le cas des cerveaux synesthésiques, les efférences neuronales sont perturbées : le fait de regarder un objet stimule par exemple le cortex visuel en même temps que le cortex auditif. Dès lors, l’information électrochimique est dupliquée : le cerveau voit une image en même temps qu’il entend un son. Selon les travaux du neuropsychologue Richard Cytovic, certains épisodes synesthésiques analysés par imagerie cérébrale montrent que le cortex des patients est en état de sous-activité alors que leur système limbique est surexcité. Du point de vue fonctionnel, la synesthésie ressemble alors à la perception du nourrisson : celle-ci est imparfaitement différenciée car les réseaux neuronaux du cerveau ne sont pas encore connectés. Il est probable que certains rêves activent simultanément plusieurs aires perceptives du cerveau, d’où il résulte des associations inédites qui sont impossibles à l’état conscient. Les synesthésiques vivraient alors… un rêve éveillé ! De fait, cette étrange capacité du cerveau est en général vécue avec plaisir par les patients.
Référence :
Saenz M., C. Koch (2008), The sound of change: visually-induced auditory synesthesia, Current Biology, 18, R650-R651.
Illustration : Piet Mondrian, L’arbre gris, 1911.
7.8.08
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