La Rochefoucault écrivit dans ses Maximes : « L'amour prête son nom à un nombre infini de commerces qu'on lui attribue, et où il n'a non plus de part que le Doge à ce qui se fait à Venise. »
Quand la science parle de l’amour, elle décrit trois comportements : le désir sexuel, la passion romantique, l’attachement durable. Ces comportements sont éventuellement mais non nécessairement associés, c’est plutôt un empilement : l’attachement suppose la passion qui suppose le désir, mais inversement, le désir peut exister sans passion, et la passion sans attachement à long terme. Ces comportements font appel à des circuits cérébraux et moléculaires assez différents : par exemple, du point de vue des neurotransmetteurs, testostérone pour le désir, dopamine et endorphines pour la passion, ocytocyne pour l’attachement.
Ces trois amours désignent avant tout des rapports interindividuels, et non un sentiment qui serait extensible à l’infini. C’est même l’inverse : l’amour trace des frontières invisibles entre les élus et les autres (les amants sont seuls au monde), c’est un sentiment tranchant, et l’on s’y coupe facilement. Parce que l’amour est relation de l’un à l’autre, l’amour de soi n’a guère de sens – le trouble de la personnalité narcissique est plutôt une illusion de soi, et le miroir des autres lui est nécessaire en dernier ressort. L’amour porté sur des objets impersonnels (amour de l’art) se rapprocherait de la passion romantique dans la mesure où il active les systèmes cérébraux de récompense : nous prenons plaisir à un certain type d’activité, et notre cerveau réclame sa dose, comme il le ferait pour une drogue. En cela, il serait plus juste de rapporter ce genre de traits à l’addiction qu’à l’amour. L’amour porté sur des groupes (amour de la patrie, amour du genre humain) relève d’un abus de langage par rapport à ce que l’expérience individuelle révèle des sentiments amoureux. Des termes comme générosité, bonté, charité, pitié, fraternité ou altruisme désignent mieux les diverses facettes de ce penchant psychologique envers d’autres individus.
Je suis donc La Rochefoucault dans son jugement. L’amour donne plaisir et force à ceux qui l’éprouvent, douleur et égarement à ceux qui le perdent. Mais il concerne toujours le commerce restreint des individus ; à prendre le terme en otage pour aller au-delà, comme le christianisme y prétendit et derrière lui un certain sentimentalisme politique ou moral, on ne produit qu’imprécision, confusion et non-sens.
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