8.4.08

Horde morale

L’homme a vécu l’essentiel de son évolution, quelques centaines de milliers de générations, dans de petites tribus ne devant pas excéder 150 à 200 individus. C’est là que son cerveau a été façonné. Le voilà plongé depuis peu (à l’échelle de l’évolution) dans des sociétés de plusieurs dizaines de millions de personnes. Le problème est que ce qui était valable pour la petite horde primitive ne l’est généralement plus pour la grande société complexe. Prenons la morale. L’idée que tous les individus doivent partager la morale du groupe a été forgée à l’époque de la horde, sur la base d’une forte proximité génétique et d’un intérêt commun immédiat (vu la rareté ou l’imprévisibilité des ressources et la violence intergroupes). Mais cette idée n’a plus de sens dans une société complexe, où il n’y a plus de proximité génétique particulière entre deux voisins, où beaucoup intérêts matériels ou symboliques n’ont rien de commun, où une paix et une abondance relatives ne créent plus de pression forte sur les comportements. Malgré cela, vous en trouverez beaucoup qui raisonnent encore comme si vous étiez membres de leur horde, qui ne comprennent pas votre indifférence à leur morale particulière, qui voudraient voir cette morale personelle devenir celle de toute la société. Même les esprits supposés éclairés comme les philosophes manquent fréquemment de ce recul minimal sur l'évolution des conditions d'existence et leur décalage croissant avec notre ancien environnement adaptatif.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

La morale au contraire concerne assez peu les hordes mais les êtres civilisés.
Ce qui change avec la loi du nombre, ce n'est pas tant l'universel de la règle morale que la possibilité de se perdre dans la subjectivité. Je veux dire par là, que le chiffre crée de l'indifférenciation et remplace une morale pointue par une coutume des usages.

C. a dit…

En désaccord avec vous (enfin, si je vous comprends bien). On trouve les premiers rudiments de morale chez des primates sociaux non humains, et l'ethnologie comme l'anthropologie témoignent que les sociétés de chasseurs-cueilleurs (les plus proches de l'environnement ancestral) sont tout à fait morales, c'est-à-dire qu'elles codifient les comportements en distinguant ces derniers comme bon ou mauvais, interdits ou autorisés, etc.

Anonyme a dit…

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Je trouve pour ma part que le besoin de la horde est fortement ancré à l'humain depuis non pas des milliers mais des millions d'années et qu'il ne l'a pas encore quitté d'un poil, quel que soit l'individu ou le groupe observé et quel que soit le point de vue choisi pour l'observer (éthique, esthétique, logique, politique, dialectique ou autre).

La horde qui a le mieux réussi parmi la multitude des hordes d'aujourd'hui, c'est celle du conseil d'administration. Mais cette horde, qui possède son propre code de déontologie et donc sa propre morale, refuse d'intégrer le premier venu en son sein, contrairement à d'autres hordes.

L'esprit de horde survit aujourd'hui au sein de tous les organismes, dans tous les domaines d'activité humaines.

Tous.

Les hordes vivent par ailleurs en s'interpénétrant selon une cybernétique particulière. Tel individu qui vit au sein de tel horde peut avoir une double, triple, quadruple, (etc.) vie le faisant évoluer au sein de plusieurs hordes différentes et éloignées les unes des autres. Le chef d'État est le prototype parfait du membre d'une multitude de hordes, grâce aux moyen offerts par les mass-médias.

Cette interpénétration possible entre les hordes n'empêchent évidement en rien tout un tas de hordes de s'affronter entre elles sur tous les champs où ils sont en concurrence, notamment ceux de l'éthique, de l'esthétique, de la logique, de la politique, de la dialectique, etc.

Il existe évidemment de nombreux cas de hordes cherchant à englober tout individu ou tout groupe passant à portée de prosélytisme, comme les hordes religieuses ou patriotiques, mais dès que la horde cherchant à s'agrandir réussi son projet d'agrandissement, il se forme en son sein une hiérarchie de hordes s'interpénétrant selon un schéma "universel". Les sociétés politiques, commerciales et industrielles ainsi que les sociétés religieuses ou armées représentent les cas les plus réussis d'agglomération et d'interpénétration hiérarchiques de hordes.

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C. a dit…

Je suis d'accord avec vous, c'est un point sur lequel je reviendrai dans un autre texte où j'essaierai de clarifier la notion qui me semble si problématique de "société". Tout le monde croit ou fait semblant de croire que "la société" est une entité réelle ayant des propriétés distinctes et créant des obligations particulières. Mais en même temps, cette société est évanescente et sa définition difficile. Je crois comme vous que l'immense majorité des humains réalisent leur nature sociale dans des micro-communautés et des micro-réseaux de taille comparable à celle de la horde primitive. Ce qu'il y a au-dessus de cette réalité palpable, c'est surtout l'Etat (comme autre réalité palpable). Et ce que l'on appelle "la société", c'est essentiellement un agrégat d'opinions et de représentations devant son existence aux médias. Comme les anciens médias centraux (presse, radio, télé) sont à la fois en pleine segmentation de niches et en plein recul d'influence (face à l'Internet et au numérique, donc la logique est individuelle est réticulaire), je suppose que l'existence même de ce que l'on appelle "la société" va devenir problématique, si ce n'est pas déjà le cas. Mais j'y reviendrai très vite.