1.8.08

Ayn Rand, l'objectivisme et l'égoïsme rationnel : une critique

Figure peu connue en France, la romancière et philosophe Ayn Rand (1905-1982) compte pourtant parmi les figures influentes de la vie intellectuelle américaine au siècle dernier. Née Alissa Zinovievna Rosenbaum en Russie, elle fuit avec sa famille la révolution bolchevique, d’abord en Crimée, puis aux États-Unis. Elle adopte là-bas le pseudonyme d’Ayn Rand, devient scénariste pour Hollywood, publie un premier roman à faible audience (Nous les vivants, 1936), un autre à compte d’auteur (Anthem, 1938, description d’une société collectiviste imaginaire). La renommée arrive avec The Foutainhead (La source vive, 1943), immense succès d’édition, adapté au cinéma par King Vidor (Le rebelle, 1949), puis Atlas Shrugged (1957), qui rencontra la même fortune éditoriale. Ces romans mettent en scène des individus dont la liberté et la créativité sont bridées par la société et l’État, rappelant un fond individualiste radical de la culture américaine.

En marge de ses activités de romancière, Ayn Rand va développer des théories philosophiques et politiques connues sous le nom d’objectivisme, une variante de la pensée libertarienne ou anarcho-capitaliste (défense radicale de l’individu et de sa liberté). Parmi ses admirateurs de toujours, on comptait notamment Alan Greenspan (il avait cofondé avec elle le think tank connu sous le nom de Collectif, puis Nathaniel Branden Institute dans les années 1950, et publié la lettre d’information The Objectivist). Mais son influence va au-delà des cercles conservateurs et bien des Américains ont connu « un moment Ayn Rand », comme le confessait volontiers Hillary Clinton. Les Belles Lettres viennent de rééditer La vertu d’égoïsme, un essai présentant les idées clé de l’objectivisme et de l’égoïsme rationnel.

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« L’homme a-t-il ou non besoin d’un code de valeurs, et pourquoi ? » Telle est la question que pose Ayn Rand au début de sa réflexion : celle du fondement de la morale. Sa réponse tient dans une certaine vision de la vie et de l’homme. « Une valeur ultime est cet objectif final (ou fin dernière) pour lequel tous les objectifs secondaires sont les moyens, et qui détermine la norme par laquelle tous les objectifs secondaires sont évalués. La vie d’un organisme est sa norme d’évaluation : ce qui la favorise est bon, ce qui la menace est mauvais ». Vitalisme, donc. Mais à la différence des systèmes « sensoriels » ou « perceptuels » des plantes et des animaux, l’homme développe par sa conscience un système « conceptuel », (le concept étant « une abstraction représentant un nombre illimité de réalités concrètes d’un genre spécifique »). Ce processus n’est pas automatique ou instinctif, poursuit Rand, c’est celui de la pensée et de la raison comme « faculté qui identifie et intègre le matériel fourni par les sens de l’homme ». Ce qui exige un « acte de concentration » - et Rand ne dédaigne pas de qualifier de « sous-humain » celui qui se contente de sensation et de perception sans concentrer son esprit. « L’homme est libre de choisir de ne pas être conscient, mais non d’échapper aux conséquences de son inconscience : la destruction. L’homme est la seule espèce vivante qui a le pouvoir d’agir comme son propre fossoyeur. Et c’est la façon dont il a agi la plupart du temps au cours de son histoire ». Le vitalisme d’Ayn Rand est donc aussi bien un rationalisme : la vie proprement humaine se confond avec la vie rationnelle, car seul l’usage de la raison permet à l’homme de mener son existence propre.

Ainsi fondée sur une approche « objective » de la nature de l’homme et de la morale, la pensée d’Ayn Rand va en déduire les conséquences pour nos règles de conduite. « L’éthique objectiviste considère la vie de l’homme comme le fondement de toute valeur, et sa propre vie comme le but éthique de chaque individu ». Distinguant valeur (ce pour quoi on agit en vue d’acquérir ou de conserver) et vertu (l’action d’acquisition ou de conservation), Ayn Rand énonce : « Les trois valeurs cardinales de l’éthique objectiviste sont la raison, l’intentionnalité, et l’estime de soi. Ces trois valeurs sont, ensemble, à la fois le moyen de réaliser et la réalisation de cette valeur ultime qu’est notre propre vie. Les vertus correspondantes sont la rationalité, la productivité et la fierté ». Par productivité ou travail productif, Ayn Rand désigne le fait général que contrairement aux autres animaux, l’homme adapte son environnement à ses besoins (par le travail) au lieu de s’y adapter. Voilà donc pour les vertus de l’éthique objectiviste. En opposition, « le vice fondamental de l’homme, la source de tous ses maux, est l’acte de ne pas concentrer son esprit, de ‘suspendre’ sa conscience, c’est-à-dire non d’être aveugle, mais de refuser de voir ; non d’être ignorant, mais de refuser de savoir. L’irrationalité est le rejet du moyen de survie de l’homme et, par conséquent, un engagement dans la voie de l’autodestruction. Ce qui est contre l’esprit est contre la vie ».

« Le principe social fondamental de l’éthique objectiviste est que tout comme la vie est une fin en soi, chaque être humain vivant est une fin en lui-même, non le moyen pour les fins ou le bien-être des autres. Ainsi, l’homme doit vivre pour son propre intérêt, ne sacrifiant ni lui-même aux autres, ni les autres à lui-même. Vivre pour son propre intérêt signifie que l’accomplissement de son propre bonheur est le plus haut but moral de l’homme ». De là l’égoïsme rationnel : « L’éthique objectiviste prône et soutient fièrement l’égoïsme rationnel, c’est-à-dire les valeurs requises pour la survie de l’homme en tant qu’homme, c’est-à-dire les valeurs requises pour la survie humaine. Et non les valeurs découlant des désirs, des émotions, des ‘aspirations’, des impressions, des caprices ou des besoins de brutes irrationnelles. » Pour l’homme égoïste et rationnel, la « poursuite du bonheur » est l’objectif de la vie. Ayn Rand prend cependant soin de se distinguer des morales hédonistes et utilitaristes qui confondent ce bonheur avec la norme de l’éthique, au lieu d’être son but : si l’on se contente de dire que la recherche de plaisir / souffrance ou le simple désir suffisent à fonder une éthique, « les hommes n’ont d’autres choix que de se haïr et se craindre les uns les autres, et se battre les uns contre les autres, étant donné que leurs désirs et leurs intérêts se contrediront nécessairement ». Pour Rand, les autres éthiques (« mystique », « sociale » ou « subjective ») ne sont que « variantes de l’altruisme », « qui considère l’homme comme un animal sacrificiel, qui soutient que l’homme n’a pas le droit de vivre pour lui-même, que les services qu’il peut rendre aux autres sont la seule justification de son existence, et que le sacrifice de soi est son plus haut devoir moral, sa plus grande vertu et sa valeur la plus importante ».


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Ayn Rand tente donc de donner une base objective, et universelle, à la morale. Comme d’autres avant elle et on notera pour commencer la critique de fond que son « objectivisme », revendiqué si fréquemment comme innovant par rapport à toutes les constructions morales précédentes, n’est tout à fait correct avec l’histoire des idées morales. Kant, dans les Fondements de la métaphysique des mœurs, s’inscrit expressément dans cette même logique : « La représentation d’un principe objectif, en tant que ce principe est contraignant pour la volonté, s’appelle un commandement (de la raison), et la formule de ce commandement s’appelle un impératif ». L’impératif catégorique se distingue de l’hypothétique en ce qu’il est bon en soi par conformité à la raison, nécessité de la volonté et objectivité de son énoncé : c’est déjà de l’objectivisme avant la lettre.

Qu’il s’agisse de Kant ou d’Ayn Rand, une bonne part du problème réside dans la description initiale de l’homme. Ayn Rand la veut objective, mais la plus objective des disciplines rationnelles, à savoir la science, ne reconnaîtra pas un certain nombre de ses hypothèses. Ainsi, la rationalité n’est jamais séparée des émotions, et c’est particulièrement vrai dans le jugement moral : la morale serait incompréhensible si l’altruisme (l’empathie) n’était pas inscrit dans le cerveau humain, comme dans le cerveau de toute espèce sociale. De ce point de vue, Ayn Rand se trompe lorsqu’elle affirme : « L’homme est né avec un mécanisme émotionnel, tout comme il est né avec un mécanisme cognitif ; mais à la naissance, les deux sont tabula rasa. C’est la faculté cognitive de l’homme, son esprit, qui détermine le contenu de ces deux mécanismes. Le mécanisme émotionnel de l’homme est comme un ordinateur que son esprit doit programmer ; et le contenu du programme sont les valeurs choisies par son esprit ». Cette idée de la « page blanche » consiste à dire que nos émotions ne seraient absolument pas pré-orientées vers certains objets. Par exemple, si nous avions reçu une éducation d’égoïste rationnel, nous pourrions passer à côté d’un enfant qui souffre de blessures dans un fossé sans arrêter notre marche et sans éprouver le moindre remords à notre indifférence. C’est douteux, du moins pour la majorité des hommes. La psychologie expérimentale montre que dès la naissance, le cerveau du nouveau-né apprend à lire les émotions dans les voix et les visages des humains les plus proches (ses parents) et qu’au cours du développement, cette disposition se généralise au-delà de sa parenté, à des situations de vie mettant en jeu des étrangers et des inconnus.

La césure stricte de la sensibilité et de la rationalité fut fréquemment avancée par la philosophie classique et moderne, depuis Descartes, mais toutes les connaissances récentes issues des sciences de l’homme (évolution, développement, cognition, comportement) vont à l’encontre de cette idée. Cela ne signifie pas spécialement que la raison doit céder aux émotions, mais qu’une pensée prescriptive (morale) reposant sur l’exercice de la raison humaine en indépendance ou en opposition avec les émotions a de bonnes chances de rester un vœu pieux, de se révéler inapte à décrire et orienter le comportement des agents moraux, ou de la grande majorité d’entre eux. Pour le dire autrement, Ayn Rand ne fait que décrire « objectivement » un certain type humain (le plus rationnel en même temps que le moins altruiste) et l’éthique adaptée à ce type humain. Ce faisant, elle néglige ou rejette les « sous-humains » et « brutes irrationnelles » qui en restent à des codes de comportement à base émotive, mystique ou sociale… mais qui forment de facto la masse de ses congénères ! (1)

Mais le problème ne se limite pas à la place des émotions dans nos jugements moraux ni aux différences de rationalité dans les comportements individuels. Même en se limitant aux individus les plus rationnels, ayant fait profession de réfléchir toute leur vie à la morale, on observe que les conclusions « objectives » d’Ayn Rand sont très loin de faire l’unanimité. Simple constat de fait : des individus tout à fait rationnels comme Aristote, Kant, Mill, Nietzsche, Rawls, Dworkin et bien d’autres parviennent à des positions bien différentes de celles de l’objectivisme (des libertariens en général).

Par quelle mystérieuse divergence l’usage d’une même rationalité humaine ne parvient pas aux mêmes valeurs, aux mêmes vertus, aux mêmes objectifs ? Selon Ayn Rand, « l’éthique objectiviste (…) considère que les intérêts rationnels des hommes ne se contredisent pas, et qu’il ne peut y avoir de conflits d’intérêt entre des hommes qui ne désirent pas ce qu’ils ne méritent pas, qui ne font ni n’acceptent des sacrifices et qui traitent les uns avec les autres sur la base d’un échange librement consenti, donnant valeur pour valeur ». Cette non-contradiction des intérêts rationnels paraît hautement problématique : elle présuppose en fait que la raison conduit les humains à accepter leur sort (leurs facultés naturelles et leur dotation initiale en ressources à la naissance) et à se contenter de ce qui leur sera accessible depuis ces conditions initiales, à un moment donné d’une société donnée. On observe l’inverse : de manière très rationnelle, un certain nombre de personnes considèrent comme injustes (immorales) les inégalités d’aptitude ou de fortune faisant que certains seront au départ avantagés sur les autres dans la « poursuite du bonheur ». Et cela d’autant plus que l’humain est fait de telle sorte qu’il convoite souvent les mêmes biens ou les mêmes statuts comme symboles de réussite, conditions et matérialisations de son bonheur. Pour le dire autrement, même en reconnaissant la rationalité comme faculté la plus noble de l’homme et la plus utile à édifier une morale, on peut très bien valoriser l’égalité ou la liberté comme principes directeurs de la morale, sans que l’une ou l’autre de ces valeurs n’ait à se justifier. Les propositions « l’homme doit tendre vers l’égalité » ou « l’homme doit tendre vers la liberté » ne sont pas des propositions de fait que l’on pourrait décréter vraies ou fausses : le désir d’égalité comme le désir de liberté existent chez l’homme, l’égalité et la liberté peuvent être décrits comme des états valorisés par certaines intuitions morales (donc des biens), la maximisation de ces biens sera également rationnelle. Et comme Ayn Rand s’interdit de quantifier le bonheur (dans une logique utilitariste qu’elle dénonce), on serait bien en peine de dire si une société basée sur l’égalité parvient mieux à réaliser ce bonheur qu’une société basée sur la liberté.

Au début de sa réflexion, Ayn Rand pose : « La première question n’est pas : quel code de valeurs particulier l’homme doit-il accepter ? Mais : l’homme a-t-il ou non besoin d’un code de valeurs, et pourquoi ? (…) Aussi longtemps que cette question demeura sans réponse, aucun code éthique objectif, scientifique et rationnel n’a pu être découvert ou défini ». Cette question du « pourquoi » de la morale rejoint ce que nous appelons la méta-éthique : non pas la défense de tel ou tel système normatif (éthique), mais l’analyse de la normativité elle-même, des raisons pour lesquelles les hommes cherchent et reconnaissent des normes de comportement. Mais dans son énoncé, Ayn Rand va plus loin : elle suggère que la réponse rationnelle à la question de l’existence de l’éthique va conduire à l’émergence d’une éthique rationnelle. Mais pourquoi ? La réponse rationnelle à la question « pourquoi l’homme développe-t-il des gastronomies ? » ne mène pas à une cuisine rationnelle, pas plus que la réponse rationnelle à la question « pourquoi l’homme croit-il dans des agents surnaturels ? » ne mènera à une religion rationnelle. On retombe toujours sur la critique humienne de la confusion du « is » et « ought », de l’être et du devoir-être, du fait et de la valeur, de la description de l’agent moral à la prescription d’un contenu moral.

De surcroît, et comme nous l’avons vu, la méta-éthique d’Ayn Rand est imprécise, et donc finalement peu objective (pour reprendre son critère « épistémologique » d’exigence). Dans une perspective évolutionniste, elle a entièrement raison de ramener à la morale à la vie : si la morale ne représentait pas un avantage adaptatif, favorisant donc à un degré ou à un autre la survie et la reproduction, le penchant moral de l’homme serait incompréhensible, les individus les plus moraux auraient été éliminés du pool génétique au profit des individus les plus immoraux. Mais une fois posé cela, encore faut-il décrire la vie en question, c’est-à-dire la vie de l’animal humain. Cet animal est hétéronome à sa naissance, plus que les autres animaux, car sa vie dépend plus longtemps du soin de ses parents, et la vie de ses parents dépend (ou a longtemps dépendu) de la protection du groupe et de la communication en son sein. Cette nature sociale est le fait de départ, et la rationalité s’est développée dans ce cadre. La faculté rationnelle chez l’homme consiste à adapter son environnement (comme Rand le reconnaît), et cela inclut son environnement social (la forme souhaitée des rapports sociaux, régulée par la morale ou le droit). D’un point de vue rationnel et indépendamment de son penchant à l’empathie, un individu peut considérer l’égoïsme et l’altruisme comme deux choix également valables, que la seule raison ne départage pas a priori. Même si je vise égoïstement à maximiser ma survie et celle de mes descendants, je dois intégrer dans cette visée le comportement des autres (qui représentent toujours une menace potentielle à ma survie, mais qui peuvent aussi m’apporter des éléments nécessaires à cette survie). Rien ne dit qu’un altruisme rationnel serait moins efficace qu’un égoïsme rationnel pour ce même objectif de survie individuelle. De ce point de vue, le libéralisme a contre lui l’évidence des faits : aucune société connue, même parmi les plus libérales, n’a limité le rôle de l’État à une défense minimale des droits formels de l’individu. Et lorsque l’histoire s’est rapprochée de ce niveau « idéal » (au XIXe siècle), l’état social en résultant a conduit au succès de toutes sortes d’idéologies antilibérales (nationaliste, socialiste, fasciste, national-socialiste et communiste), ayant pour point commun d’être altruistes et étatiques.

Référence :
Rand Ayn (2008), La vertu d’égoïsme, Belles Lettres, Paris, 174 p.

Note :
(1) Nous n’entrerons pas plus avant dans les détails, mais il faudrait également creuser la rationalité elle-même : ce n’est assurément pas une faculté également partagée chez les hommes et derrière ce concept général de la philosophie, les neurosciences trouveront sans doute des mécanismes bien plus précis, et diversement répartis dans les cerveaux. Parmi les traits les plus étudiés du point de vue scientifique, l’intelligence psychométrique ou capacité cognitive générale (facteur g) est probablement le trait qui s’en rapproche le plus. On sait que le QI de toute population se répartit également de part et d’autre d’une moyenne (conventionnelle) de 100. Croit-on vraiment que les individus au QI de 70 et ceux au QI de 130, également présents dans toute société, sont disposés à exercer de la même manière leur rationalité lorsqu’ils forgent un jugement moral pour en déduire le comportement adapté ? Je ne connais pas d’études spécifiques sur le sujet, mais il faudrait une bonne dose d’idéalisme pour poser comme hypothèse de travail que le niveau d’intelligence de l’individu est indifférent à sa manière de concevoir son rapport aux autres, d’anticiper sur les conséquences de ses actions, de réfréner ou canaliser les pulsions et émotions venues des zones limbiques du cerveau, etc. En deçà de l’intelligence, les diverses capacités cognitives spécifiques impliquées dans nos jugements moraux présentent probablement de grandes différences interindividuelles, innées ou acquises.

10 commentaires:

Anonyme a dit…

"une variante de la pensée libertarienne ou anarcho-capitaliste (défense radicale de l’individu et de sa liberté)"

Il faut tout de même préciser que Ayn Rand ne s'entendait pas très bien avec les libertarians et était tout à fait contre l'anarchisme/anarcho-capitalisme.

Sinon sur le fond, il me semble que vous mélangez à plusieurs endroits le succès et la justesse d'un raisonnement. Dire qu'une éthique est rationnelle signifie-t-il forcément que tout être doué de raison va être d'accord ? Ayn Rand a bien dû remarquer que la majorité de l'humanité n'était pas d'acccord avec elle. Rationnel doit plutôt être compris comme démontrable et justifiable par la raison. Et devant donc, avant tout, être logique et donc cohérent. Ayn Rand a bien montré par exemple que des "morales" très répandues avaient la mort comme conséquence logique si on les suivait jusqu'au bout.

C. a dit…

Merci de cette précision sur les libertariens / anarchocapitalistes.

Je ne crois pas confondre "justesse et succès". Ayn Rand parle en toute généralité de l'homme : si elle précisait que son éthique est une option parmi d'autres, au sein de l'humanité et de sa rationalité, je n'aurais aucune raison de la critiquer au niveau où je l'ai fait. J'aurais pu intituler ce texte "Contre Ayn Rand, tout contre", car le fait est que son éthique m'est sympathique et que je l'adopterais volontiers sur une île déserte où je pourrais fonder une politie avec mes semblables (plutôt rationnels, plutôt égoïstes)

Mais comme Ayn Rand se réclame de l'objectivité et, in fine, de l'universalité de la condition / nature humaine, propre à ce qui dépasserait nos subjectivités situées, j'exprime mon scepticisme. Ce scepticisme est bien sûr identique pour toute autre prétention objective ou universelle dans la fondation de la justice ou de la morale (notamment celle des libéraux de gauche à la Rawls ou Dworkin). Au fond, je pense que l'humain est trop hétérogène pour partager quoique ce soit dans le bien, le bon ou le juste, sauf s'il y est forcé. Et j'attends d'une morale pour tous les humains qu'elle commence par être honnête sur l'usage de la force implicitement contenu en elle : si elle ne l'est pas, si elle entend me faire croire que tous tendront vers elle par quelque penchant partagé, cette morale est naïve, fausse ou hypocrite.

Faré a dit…

Cf le debat dans les commentaires de mon blog lors de ce billet semi-recent:
http://fare.livejournal.com/127221.html

Le debateur presume sans se justifier que le crime paie, alors que par sa nature meme de jeu a somme negative, le crime ne paie peut pas payer comme regle de conduite generale, et donc l'immense majorite d'entre nous a interet a ne pas s'y livrer, a eviter d'en etre victime, a promouvoir et respecter des regles sociales contre de tels comportements.

Certes, il y a une minorite de psychopathes pour lesquels c'est effectivement leur interet d'etre criminel -- bonne raison d'avoir des regles pour isoler et reformer la vermine (si possible et bon marche) ou l'exterminer sans pitie (sinon). Je ne leur reproche pas d'etre egoistes, mais d'etre psychopathes et d'interferer avec l'egoisme d'autrui (le mien pour commencer, celui de toutes les personnes dont je cherche le concours pour eliminer le psychopathe pour continuer).

Croyez-vous vraiment qu'il soit de votre interet de voler, assassiner, violer, de passer votre temps a manigancer serieusement de tels mefaits plutot que de travailler? Heureusement, votre comportement honnete (je l'espere) dement performativement vos propositions absurdes (ou sinon, j'espere vous voir vite entre quatres murs de beton ou de sapin).

Plus la societe est avancee, plus efficaces sont ses regles pour traiter les psychopathes, et plus il devient rationnel pour tous sauf des malades mentaux voues a l'euthanasie d'etre honnetes. Et tout etre rationnel a interet a promouvoir de telles regles.

Maintenant, si vous parlez de societes primitives et/ou en deliquescence - certes, la barre s'abaisse pour tendance psychopathique suffisante pour qu'il soit "rationnel" a un egoiste de devenir criminel. Mais pour l'immense majorite qui perd a ces crimes, la raison est toujours de combattre ces crimes si c'est encore possible, sinon de s'enfuir ou se cacher.

Je ne reproche pas a ces criminels d'etre egoiste ou irrationnels, mais d'etre mes ennemis. Et je souhaite davantage de rationnalite a l'immense majorite de non-psychopathes dans toute societe qui est capable de survivre (les autres cessent vite d'etre pertinentes).

C. a dit…

(faré) Le cas du psychopathe - au sens clinique - est très minoritaire. Tuer ou voler ou contraindre, c'est aussi bien la grande occupation des Etats et des églises : pourquoi l'acceptons-nous ? Parce qu'il semble à une majorité d'humains altruistes que les Etats et les églises tuent, volent ou contraignent pour une bonne cause, à savoir protéger le groupe, redistribuer la richesse, assurer l'égalité ou élever la vertu en son sein, etc. Si l'on prend l'analyse de Ruwen Ogien discutée dans ces pages, l'éthique concerne avant tout le rapport aux autres (pas le rapport à soi) et elle se décline sous des formes minimalistes ou maximalistes. Ayn Rand défend une forme ultraminimaliste, mais j'observe simplement que celle-ci est aussi minoritaire chez l'humain, qui se reconnaît mieux dans les formes maximalistes de la morale.

Faré a dit…

1- Encore une fois, les tendances psychopathiques viennent dans une large gradation, et selon le degre d'avancement de la societe, il devient rationnel pour une frange plus large de marginalement psychopathes de choisir la defection a la cooperation.

2- les echelles de pouvoir de structures sociales comme eglises et etats, bureaucraties "publiques" ou "privees", sont elles-memes prises d'assaut par les element marginalement plus psychopathes de la societe. Le pouvoir attire les salauds qui ensuite pretendent agir au nom du peuple (de Dieu, ou de toute autre source acceptee d'autorite). C'est une erreur (certes commune) d'accepter pour argent comptant les ratiocinations "altruistes" de leurs crimes.

3- Parce que toute comprehension, toute decision, toute action est immediatement individuelle, toute ethique est d'abord individuelle. Mais comme la cooperation avec autrui dans des jeux a somme positive est une source de richesse fantastique (comparer le smicard moderne au bas de l'echelle sociale a un chasseur cueilleur isole de sa tribu voire meme l'idiot de la tribu a un robinson moderne - il y a tout a gagner, egoistement, a la cooperation avec autrui, et tout a perdre a son absence), les actions sociales deviennent vite une part importante de toute ethique.

4- Cf Hazlitt "Foundations of Morality" pour ne pas confondre altruisme et mutualisme.

5- Ayn Rand defend la raison, qui effectivement est minoritaire chez l'humain, qui a majoritairement tendance a accepter les arguments sociaux plutot que rationnels. Cf NT vs SJ, sans oublier NF ou SF.

Vous me semblez etre ISTJ vous meme.

C. a dit…

NT, SJ, NF, SF, ISTJ... pourriez-vous préciser ces acronymes ?

Il faudrait également définir le "psychopathe" : je l'entends pour ma part stricto sensu, comme le trouble de la personnalité antisociale du DSM IV (anciennement sociopathe ou psychopathe), qui correspond à des critères diagnostics assez précis.

Faré a dit…

Il n'est trop tentant pour moi de proposer ce lien (l'humour valant mieux que politesse):
http://www.justfuckinggoogleit.com/search.pl?query=NT%2C+SJ%2C+NF%2C+SF%2C+ISTJ

D'accord pour psychopathe stricto sensu, mais je parle de tendance psychopathique, et j'affirme qu'entre le cas clinique et l'homme sain, il y a de nombreux cas troubles, qui sont d'autant plus attires par le pouvoir que leur cas est prononce.

C. a dit…

Pour NT, SJ, NF, SF, ISTJ, etc., je laisse tomber là, cela semble intéressant, mais vaste et flou. (Un truc partant de C.G. Jung, je prends cela avec des pincettes vu le nombre de rêveries mystiques produites par ce brave homme : mais si vous avez des références plus précises, peer reviewed, sur la validité, réplicabilité, etc. du classement, cela m'intéresse beaucoup de les lire).

Pour le reste, on peut reconstruire ce que l'on veut à partir de l'individu (y compris l'éthique), mais il faut une bonne description de cet individu si la reconstruction prétend décrire l'ensemble des actions humaines. Dans le domaine de la philosophie morale, je n'en connais pas. Certainement pas celle d'Ayn Rand.

Faré a dit…

Pour NT, SJ, etc., le MBTI (Myers-Briggs Temperament Indicator) et sa reinterpretation par Keirsey sont des outils tres repandus. Ce ne sont pas les elecubrations brutes du vieux Jung, mais de realites mesurees. Vous trouverez sans probleme des articles si vous cherchez.

Pour l'ethique, si votre critere de distinction met toutes les philosophies morales en vrac dans le meme sac, ledit critere ne me parait completement inutile et non pertinent.

Sinon, que Rand ait ete ignorante de la biologie, tombe dans la "trappe intellectuelle", et se soucie plus de verite philosophique que de succes et stabilite memetique, sans doute. Mais question aveuglement selectif, permettez-moi de ricaner a votre "la plus objective des disciplines rationnelles, à savoir la science".

C. a dit…

Sur le MBTI, je ne trouve justement pas grand chose sur PubMed (trois études avec le nom complet, quelques dizaines avec l'acronyme). D'où mon scepticisme sur la valeur du binz, en dehors du côté toujours amusant de ces classifications.

Sur la science comme activité la plus rationnelle / objective de l'esprit humain, vous pouvez ricaner... mais en connaissez-vous d'autres, en fait ?

Sur la philosophie morale, je ne vois pas trop ce que vous entendez par "mettre dans le même sac". J'observe simplement que les théories morales manquent d'une description correcte des agents moraux et que la plupart croient en l'universalité de leurs prescriptions alors qu'elles ne correspondent jamais qu'à une certaine définition du bien et/ou un certain type humain. Contrairement à Rand, cela ne me dérange pas que des individus vivent avec des morales émotives / sociales / mystiques si celles-ci leur conviennent le mieux, et je ne crois pas que cela mène à "la mort" comme le dit turion plus haut.